Et pendant ce temps-là au Bahreïn…

Louis Denghien

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La révolte bahreïnie « fête » ces jours-ci son premier anniversaire. Par de nouvelles manifestations. Mardi 14 février, plusieurs milliers d’opposants chiites au gouvernement et au roi sunnites avaient tenté de se rassembler sur la place de la Perle à Manama, place Tahrir locale où s’était cristallisée la révolte de la minorité chiite voici un an. Les opposants avaient diffusé le mot d’ordre sur internet.  Cette fois, le déploiement des forces de l’ordre était tel que les chiites ont dû renoncer à cet objectif, se repliant aux abords des quartiers ou des villages de la périphérie de Manama, en petits rassemblements fragmentés et dispersés par les forces de l’ordre.

Mais de nouveaux troubles sont intervenus jeudi 16, dans différentes localités. A Sar, les policiers ont dispersé des groupes d’adolescents, tandis que des adultes criaient des slogans religieux. Ca et là, des manifestants ont jeté des cocktails Molotov contre les policiers, qui déploreraient deux blessés graves à Sitra. Selon un médecin, 120 personnes auraient été blessées dans les troubles depuis le début de cette semaine.

D’un printemps à l’autre…

On sait que la révolte bahreïnie – la « révolution de la perle » – avait suffisamment inquiété le régime et son puissant protecteur et voisin saoudien pour que des moyens militaires conséquents soit employés, avec notamment des troupes dépêchées par Ryad. Qui, si l’on en croit Jean-Paul Burdy, maitre de conférences d’histoire à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, interrogé par le site Atlantico, sont restées pour certaines d’entre elles stationnées à Manama.

La répression du printemps de la Perle avait provisoirement calmé les ardeurs de la majorité chiite – 70% environ des 700 000 de citoyens du Bahreïn (d’autres sources parlent d’un million d’habitants, en comptant sans doute les immigrés). Mais la contestation est repartie de plus belle à la toute fin de l’année dernière, avec des manifestation dans les principales villes du royaume. Manifestation à nouveau fermement réprimées. Ce qui n’a pas empêché une nouvelle vague de protestation, le 24 janvier dernier, qui a touché les villes de Duraz, Sanabis, Dair et al-Ekr, – et dans la périphérie de Manama – et fait selon un bilan officiel une quarantaine de blessés parmi les policiers.

A vrai dire, et en dépit de la surveillance de Ryad, les conditions sociales et démographiques du royaume étant ce qu’elles sont, on ne voit pas comment le roi Hamad ben Issa al-Khalifa et son oncle de Premier ministre, Khalifa ben Salman al-Khalifa, pourraient ne pas « lâcher du lest » tôt ou tard, et ouvrir vraiment la vie politique à la « minorité majoritaire » chiite, représentée notamment par le parti – autorisé – al-Wefaq. Il est vrai que la situation géostratégique du royaume, pour l’essentiel une ile de 600 et quelques kilomètres carrés, proche du littoral saoudien mais face à l’Iran, peut permette au régime semi-autocratique sunnite une certaine impunité, tant la région est devenue sensible en ces temps de confrontation entre Téhéran d’une part, et Washington et ses alliés du Golfe d’autre part. Bahreïn, au fait, abrite une base navale de la Ve flotte américaine. Le gouvernement bahreïni a d’ailleurs dénoncé la main de l’Iran dans les troubles actuels – et il est très possible que la République islamique joue cette carte-là pour affaiblir les pétro-monarchies pro-américaines du Conseil de coopération du Golfe. Même si une commission d’enquête internationale a conclu, en novembre dernier, qu’il n’existait « aucun élément probant » quant à une responsabilité iranienne dans les troubles de février-mars 2011.

Mais le régime vit sur un volcan : les chiites sont en état de dissidence d’avec l’Etat, un Etat qui a fait d’eux des citoyens de seconde zone, et se méfie assez d’eux pour leur interdire l’entrée dans la police et l’armée, préfèrent recruter parmi les immigrés pakistanais, yéménites ou irakiens, qui présentent l’avantage d’être sunnites !

Et ce n’est pas l’attitude du clan entourant le roi – regroupé autour de son oncle – que Jean-Paul Burdy définit comme des partisans du tout-répressif, très proches des Saoudiens, et appuyés par la majorité des sunnites locaux, qui va calmer le jeu. D’autre part, le parti al-Wafeq, qui présente des revendications modérées – encore que révolutionnaires dans ce contexte – telles que l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et une meilleure représentation des chiites dans la vie politique, est débordée par une jeunesse radicalisée, et galvanisée par la proximité géographique et religieuse de l’Iran. Et l’Arabie Saoudite, qui se sait menacée, en deuxième ligne, par la contestation au Bahreïn, ne pousse pas au dialogue non plus : le royaume wahhabite est relié au Bahreïn par une digue routière de 25 kilomètres, et un certain nombre de districts saoudiens proches de l’ile, et les plus riches en réserves de pétrole, sont à majorité chiite eux aussi. Pour Ryad, le Bahreïn est une bombe à retardement.

Dégradation annoncée

S’il n’y avait que le roi Hamad, la tension baisserait certainement : il est plutôt un partisan du dialogue – c’est notamment lui qui a convoqué la commission internationale d’enquête. Mais il est décidément dépassé par des enjeux régionaux considérables : Washington surveille de près la situation, et encourage les contacts entre al-Wefaq et le roi. Mais il est bien tard déjà, la frustration chiite s’enracinant dans le passé, au moins depuis les années 90, avec une montée en puissance en 2010.

Interrogé sur son pronostic quant à l’avenir du royaume, Jean-Paul Burdy répond que « l’absence de toute perspective politique et sociale radicalise une partie de la jeunesse chiite« , qui glisse vers la guérilla urbaine, suscitant en retour une crispation de la minorité sunnite. Et Burdy pointe des signes révélateurs, comme les actuels transferts de capitaux et d’activités des principaux acteurs économiques du royaume vers l’émirat voisin de Dubaï. Quant à Georges Malbrunot, du Figaro, il décrit sur son blog une situation bloquée entre des chiites exaspérés et un régime crispé sur ses prérogatives séculaires : les sunnites s’arment, de jeunes chiites provoquent chaque nuit la police, tandis que les différents partis chiites refusent de participer à la « Commission du dialogue national » mise en place par les autorités.

Bref, les pétro-monarchies acharnées à déstabiliser la Syrie laïque et alliée de l’Iran risquent de voir s’ouvrir un front intérieur des plus périlleux. L’arroseur arrosé, en quelque sorte…

Info Syrie

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