Rien ne sera plus jamais comme avant

Faouzia Zebdi-Ghorab
Si les révolutions tunisiennes et égyptiennes, si la nakba  libyenne, constituent un tournant majeur  pour les peuples directement concernés, elles  représentent  un bouleversement autrement important pour des millions d’hommes et de femmes aux quatre coins des continents.

Rien ne sera plus jamais comme avant…

Il y a la plaie béante,  le drame sans nom de l’Irak et de Bagdad.  Bagdad la belle, Bagdad la fière, Bagdad la majestueuse, Bagdad la blessée, Bagdad la mutilée, Bagdad la condamnée à pleurer sans que personne ne se décide à sécher ses larmes qui depuis, ont creusé des sillons sur les visages orphelins qu’aucune main n’est encore venue secourir ni même consoler.

Il y a le drame palestinien et la douleur au quotidien d’une injustice, colonisatrice, sanguinaire, sans fin...

Il y a la Tchétchénie et son peuple sacrifié ; génocide qui se déroule si loin, tellement loin, que les râles de Grozny et d’ailleurs ne nous parviennent même plus depuis bien longtemps.

Il y a les charniers bosniaques et Srebrenica où ordre est donné de «  tuer le plus de musulmans possibles » sous les yeux « impuissants »  des casques bleus forces « protectrices » de l’ONU.

Il y a l’Afghanistan si loin elle aussi. L’Afghanistan et ses fiers combattants, qui ont le ciel pour seule couverture et le sol montagneux comme unique tapis, incorruptibles, endurants,  qui continuent de  défier les ennemis endiablés d’Est et d’Ouest, à la seule  force de leur foi et de leurs modestes fusils.

Et puis il y a la Libye. Libye la douce, Libye la verte, Libye la meurtrie, Libye la trahie, où rien ne sera plus jamais comme avant. Libye transformée en paysage de désolations et en amas  de débris et de cratères géants et dont l’eau des irrigations jadis généreuses s’est transformée en lugubres  canaux de sang.

Et puis il y a l’OTAN, organisation politico-militaire au  budget de 1 876 millions d’euros prélevés des impôts  des modestes contribuables (2% du PIB) ce qui implique que personne ne peut se dire innocent de chaque bombe qui tue un innocent.

Cette  organisation  créée uniquement pour  assurer  la sécurité de l’Occident,  parade désormais  en  Afghanistan, en Irak et aujourd’hui à Tripoli.  Autrement dit bien lien de la zone euro-atlantique qu’elle est sensée protéger. Elle a décidé elle aussi de jouer au  « gendarme  du monde » et autres  « gardiens de la paix » qui feraient mieux de la fiche aux gens et les vaches seront bien gardés.

Mais leur  posture est intenable financièrement et humainement et l’OTAN  va  en  payer le prix politiquement et économiquement très bientôt. Wait and see.
Et puis il y a les gouvernements illégitimes qui tentent en ce moment de lâcher un chouïa de leste car ils tremblent de tant de remous, de tant de changements, de tant de bouleversements et de ces vents « fous » de liberté qui soufflent trop fort à leur goût et qui les empêchent de continuer à spolier leurs peuple en toute tranquillité sans être inquiétés comme ils l’ont fait durant leurs « belles glorieuses années » qui peu à peu se transforment en cauchemar car l’injustice dans la règle des choses ne peut éternellement durer.

Et puis il y les savants  et les hommes d’influence quel que soit leur domaine de compétences, des savants ou responsables scandaleusement muets. Nous souffrons de leur mutisme, nous mourrons à petit feu de leur silence. Le monde entier parle écrit, noircit des centaines de papiers, informe le public ou manipule les opinions quant d’aucuns sont mortellement muets. Ou alors s’ils parlent c’est pour finir de nous achever.

Écrivain, journalistes, avocats… et mêmes philosophes charlatans sont allés en Tunisie, en Égypte, en Libye pour observer, analyser, écrire, rapporter des images ou tout simplement témoigner quant d’autres, statiques, dans des salons scandaleusement opulents, observent du haut de leur sainte autorité , jugent et donnent leurs analyses et autres fatwas à travers le petit écran d’al Jazeera ou de tout autre organe propagandiste téléguidé.

Mais rien n’est plus comme avant…

Désormais l’opinion populaire, avide d’arguments éthiques et politiques,  est informée, les consciences averties. Et donc qu’on se le dise, les discours pleins d’emphases lyriques et autre arguments d’autorité ne suffisent plus à convaincre et à faire l’adhésion d’hommes et de femmes qui attendent désormais des réponses claires aux problèmes stratégiques et autres enjeux nationaux et mondiaux.

Avant qu’ils en perdent définitivement toute crédibilité, nous attendons des réponses claires de l’association internationale des savants musulmans et autres conseils de fatwas qui se sont positionnés pour une justification et un cautionnement direct ou indirect des bombardements de l’OTAN.

« Est-il permis à la population de Syrte de manger la chair des chiens et des chats morts sous les décombres de l’Otan faute de nourriture ? »

Voilà la première question posée par les survivants  de la  nouvelle Libye  « démocratisée », et « libérée  de Kadhafi ».

Pourquoi ? Pourquoi ont-ils ouvert la boite de pandore qui vient de plonger les libyens dans un tel désastre humanitaire ? La Libye  dont le taux d'endettement national était le second plus faible de la planète. La Libye qui possédait le plus haut niveau de vie d’Afrique, sans TVA ni impôt sur le revenu. La Libye qui dispensait l’eau gratuitement  pour les ménages et une maison de 150 m2 pour les nouveaux mariés. La Libye dont l’Otan a détruit les centrales électriques qui distribuaient gratuitement l’électricité. La Libye dont les soins médicaux  et les études étaient également gratuits et illimités. Pourquoi  en sont-ils arrivés à devoir manger de la chair de chat et de chien ? Pourquoi ?

C’est à ceux là même qui ont permis ce drame par leur manque d’analyse prospective qu’il faut poser la question, clame un savant résistant de Palestine  Sheikh Salah Al-Din Abou Arafa qui sait de quoi il parle et d’où il parle.

Par ailleurs la question claire que nous posons et pour laquelle nous avons besoin d’une réponse sans ambages, est la suivante : l’élimination d’un seul homme quel qu’il soit autorise t-elle à sacrifier ici et là, des millions de vies dans les souffrances les plus atroces, jamais imaginées ?

Entendez-vous  dans la ténébreuse obscurité les cris de ces enfants apeurés sur lesquels se sont déversés des milliers de bombes qui ont déchiquetés leurs petits corps si petits si  délicats, si fragiles, encore innocents ?

Le prix à payer pour désister Kadhafi était-il absolument celui là ?  Pour qu’un seul être humain vive nous sommes prêts à tout mais pour qu’un seul homme meure devons-nous être prêts à tout et surtout au pire ?

L’heure est décisive et le moment venu également à l’association européenne et internationale des savants de nous dire clairement sa position sur le pilonnage de l’Otan et sur le fait de mener une révolution aussi légitime soit t-elle en livrant un pays quel qu’il soit  à l’impérialisme, à la barbarie, aux chiens et aux rats…

Et enfin: quelle analyse, quels moyens logistiques  sérieux ou du moins stratégiques apportent-ils pour légitimer la libération de la Syrie du joug de l’oppression sans que cela ne devienne une caution à l’intervention de l’OTAN, à un saccage et  une mise à feu et à sang ?

….

Et puis il y a les écorchés vifs, les indignités ou ceux condamnés à être lamentablement libres.

Car pourquoi vivre,  pourquoi être libres,  si nous réclamons le droit d’être heureux en oubliant que nous avons le  devoir de faire en sorte que tout le monde sois heureux ?

Pourquoi réclamer qu’on nous aime alors que nous sommes incapables d’aimer en humanité ?


Honte à nous si nous ne sanctions pas de façon cinglante tous les pays membres de l’Otan, les classes politiques et leurs représentants qui ont voté cette attaque et y ont participé. Le jour où nos voix pourront s’exprimer à travers le scrutin des urnes, notre crime sera de rester muet. Car le jour où notre regard plongera dans celui d’un bébé dont les bombes auront fait taire à jamais les cris, par son regard il nous interrogera et la sentence tombera sans que nous n’ayons pu parler car son corps témoignera pour lui.

Et à celles et ceux qui se demanderaient qui je suis, je leur dis : mon martyr est palestinien, mon sang irakien, ma révolte tunisienne, mes larmes tchétchènes, mes invocations afghanes, mes blessures syriennes, ma voix arabe, mon cœur humain, ma détresse libyenne… mon indignation universelle et en dehors de cela je ne suis rien.


Faouzia Zebdi-Ghorab
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