Charlie, Phil & Robbie, Sister Fourest et le spectre de l’islamisation
Parcours éditocratiques... et islamophobiques
Mona Cholle
Les occasions ne manquent pas de défendre la liberté de la presse ou la liberté d’expression. N’en déplaise à Philippe Val, si la France, d’après Reporters sans frontières, détient depuis 2007 le record européen des interventions policières ou judiciaires contre des journalistes, ce n’est pas tant grâce aux « intégristes » que grâce au nouvel homme de son amie Carla. Mais, si les innombrables atteintes à ces droits ne suscitent pas un émoi de même envergure que l’affaire des caricatures de Mahomet qui a tant mobilisé Charlie Hebdo, c’est parce que cette dernière joue sur un ressort bien particulier : celui de la menace identitaire, de la peur de l’invasion. Elle suppose et renforce l’idée – totalement fantaisiste, faut-il le préciser ? – que les « intégristes » auraient la capacité d’islamiser la France, de lui imposer leur loi.
Ce scénario inepte, dont l’extrême droite, depuis le 11 septembre 2001, n’a plus l’apanage, offre un exutoire à tous ceux que l’évolution de la France et du monde, pour des raisons diverses, et quels que soient leur classe sociale ou leur niveau d’instruction, plonge dans le désarroi. Il leur désigne un bouc émissaire, leur permet de ressortir du placard le langage héroïque de la « résistance », et leur procure un irremplaçable petit frisson de peur et d’excitation mêlées.
Caroline Fourest, qui n’intéressait personne à l’époque où sa seule cible était l’intégrisme chrétien, l’exploite avec bonheur. On peut n’avoir aucune sympathie pour Tariq Ramadan, et être néanmoins saisi de dégoût devant le sensationnalisme à trois francs cinquante de la biographie approximative qu’elle lui a consacrée. Pour mieux faire trembler dans les chaumières, elle y emploie à chaque page les adjectifs
« inquiétant »
« sinistre »
« effrayant »
« terrifiant »
« guère rassurant »
« à faire frémir »
« à faire froid dans le dos »
« à glacer le sang ».
Et elle ose des métaphores plus ou moins heureuses : les Frères musulmans, écrit-elle, sont
« une matrice infernale dont les tentacules diffusent encore aujourd’hui l’intégrisme aux quatre coins du monde »… [1 ]
(Cela vous rappelle une rhétorique en vogue au temps de Drumont et des années trente ? Vous mélangez tout !) [2 ]
Reposant sur ce présupposé plus ou moins implicite de ce que l’extrême droite appelle la « colonisation à rebours », il est inévitable que la focalisation obsessionnelle sur l’intégrisme musulman révèle, tôt ou tard, sa xénophobie et son racisme foncier. Ainsi, en juin 2008, Caroline Fourest est envoyée par Charlie Hebdo aux Pays-Bas, afin de rencontrer un autre martyr de la liberté d’expression, le caricaturiste Gregorius Nekschot, qui explique à Charlie Hebdo :
« Les musulmans doivent comprendre que l’humour fait partie de nos traditions depuis des siècles »….
Nekschot est l’auteur de dessins où l’on voyait, par exemple, un Arabe assis sur un pouf, avec cette bulle :
« Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs. »
Ou un vieux baba cool néerlandais, braqué par un grand Noir, faisant le signe « peace and love » et disant :
« Ce n’est que la seconde génération. »
Ou encore ce « monument à l’esclavage du contribuable autochtone blanc » : un Néerlandais, chaînes au pied, portant sur son dos un Noir, bras croisés et tétine à la bouche (Voir ci-contre).
Ou encore un imam habillé en Père Noël et sodomisant une chèvre, avec pour légende :
« Il faut savoir partager les traditions. »
Ou encore un imam (à moins que ça ne soit le Prophète Mahomet) sodomisant une fillette voilée – désopilant – ou encore – mort de rire ! – imposant une fellation à la petite Anne Frank... [3 ]
Caroline Fourest ne songe pas, ici, à employer les qualificatifs « inquiétant », « sinistre », « effrayant », « terrifiant », « à faire frémir »,« à faire froid dans le dos » ou « à glacer le sang » [4 ]. Elle se contente de reconnaître que l’« humour » de son nouvel ami « ne voyage pas toujours bien », mais explique qu’il doit être compris « dans un contexte néerlandais ultra tolérant, voire angélique, envers l’intégrisme ». Car enfin, si l’on n’a plus le droit, dans son propre pays, de critiquer l’immigré parasite et voleur, ou de blasphémer contre le bougnoule baiseur de chèvres, c’est tout l’héritage des Lumières fondateur de la démocratie qui vacille.
Au mépris du danger !
Pour un Philippe Val, agiter le spectre de l’islamisation permet de hurler avec les loups, de flatter les plus bas instincts des foules, tout en se prenant pour Jean Moulin. Après l’affaire des caricatures, il publie un Traité de savoir-survivre par temps obscurs [5 ]. Il y a tout lieu de s’inquiéter pour sa survie, en effet, car il paie au prix fort son courageux engagement au service de cette cause ingrate. Pour le punir d’avoir osé les défier, les islamistes, qui, comme chacun sait, tirent toutes les ficelles en France, ont fait de sa vie un enfer :
En tant qu’actionnaire largement majoritaire de Charlie Hebdo (avec Cabu), la vente du seul numéro des caricatures, dont il affirme ne pas savoir combien elle a rapporté au journal (500 000 exemplaires multipliés par 2 euros, c’est trop dur, comme calcul !), l’a contraint à acquérir une résidence secondaire avec piscine.
Le film tourné sur le procès par Daniel Leconte (un autre de ses « potes », en charge de la propagande atlantiste sur Arte) lui a valu d’être affublé de force d’un smoking et traîné sur le tapis rouge du Festival de Cannes.
Enfin, ayant bien involontairement, avec cette affaire, prouvé sa valeur aux yeux du monde, il n’a eu d’autre choix que d’accepter le fauteuil de directeur de France Inter [6 ].
Eh oui : la sauvegarde de nos libertés est à ce prix. Mais tant d’avanies ne lui ont rien fait perdre de son panache : il affirme gravement que si c’était à refaire, il le referait.
Son seul regret : que tant de grands noms qui avaient autrefois défendu Salman Rushdie l’aient laissé tomber lors du procès des caricatures, créant ainsi de graves lacunes dans son carnet mondain. Ce qu’il qualifie, avec un chouïa d’exagération, nous semble-t-il, d’« incroyable retournement des intellectuels et des politiques », représente une « grande victoire pour les intégristes » [7 ]. Tristes émules que ceux de Salman Rushdie. Au départ, on avait un grand écrivain, désigné à une vindicte mondiale par un chef d’État doublé d’un guide spirituel. Aujourd’hui, n’importe quel gratte-papier qui, drapé dans les atours de sa haute culture, éructe quelques propos de comptoir sur l’islam et les musulmans, se voit aussitôt bombardé gardien de la conscience universelle, au prétexte « qu’un adolescent jihadiste du 9-3 a lancé une fatwa contre lui sur son Skyblog » [8 ]. Dans Le Figaro du 28 novembre 2005, Robert Redeker s’en prenait aux sociologues, accusés de nuire à l’intégration des sauvageons en répandant l’idée, tenez vous bien, et nous finirons là-dessus,
« qu’un vers de Racine ne vaut pas mieux qu’un couscous ».
P.-S.
Ce texte est extrait du livre collectif Les éditocrates, publié par Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle et Mathias Reymond aux Éditions La Découverte, que nous recommandons vivement.
Notes
[1 ] Caroline FOUREST, Frère Tariq, Grasset, Paris, 2004.
[2 ] Note du Collectif Les mots sont importants
[3 ] Note du Collectif Les mots sont importants.
[4 ] Note du Collectif Les mots sont importants.
[5 ] Grasset, Paris, 2007.
[6 ] Placé sous protection policière au moment de l’affaire des caricatures, Philippe Val raconte dans Reviens, Voltaire… comment il sillonne Paris, « toutes sirènes hurlantes », dans la voiture de ses anges gardiens :
« On a priorité absolue, même les cars de flics escaladent les trottoirs pour nous laisser passer. J’ai ressenti là une petite ivresse de transgression qu’il serait malhonnête de ne pas avouer. »
On le voit : cet homme vit dans la terreur. Certes, une catastrophe est toujours possible, et on n’est jamais trop prudent ; on aimerait seulement que d’autres individus menacés en raison de leurs prises de position bénéficient de la même faveur. On pense par exemple au cinéaste Eyal Sivan, à qui son travail sur la société israélienne et sur l’occupation a valu de recevoir, un jour de 2003, une lettre contenant une balle de 22 mm accompagnée de cet avertissement :
« La prochaine n’arrivera pas par la poste. »
Il a finalement quitté la France.
[7 ] Philippe VAL, Reviens, Voltaire…, op. cit.
[8 ] « La nausée », Le Blog de Philippe V., 6 août 2008 (Blog parodique).
Source: http://lmsi.net
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