Guantanamo à la française

Guantanamo à la française : Hadlène Hicheur, physicien franco-algérien, entame sa 3e année de captivité sans procès

Le maintien en détention d’un physicien franco-algérien met en évidence la nécessité pour les scientifiques de défendre les droits humains de tous leurs collègues.

Traduction de la prestigieuse revue scientifique Nature

Mardi 22 Novembre 2011

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Adlène Hicheur est-il un dangereux terroriste ? Le gouvernement français l’en soupçonne certainement. Quand il a été arrêté en 2009, les autorités ont accusé Adlène Hicheur, alors un post-doctorant en physique des hautes énergies à l’Institut fédéral suisse de technologie à Lausanne, de comploter des attaques terroristes en France. Depuis lors, ces mêmes autorités l’ont placé en détention, sans procès, à la prison de Fresnes près de Paris tandis qu’elles s’activaient à recueillir des preuves.

La famille d’Adlène Hicheur ainsi que ses proches collègues disent que l’idée selon laquelle Hicheur ait été en train de planifier des attaques terroristes est totalement fausse et fantaisiste. Ils affirment que le physicien franco-algérien a été impliqué dans de vifs débats en ligne, sur de nombreux sujets dont le terrorisme. Ils soutiennent que son arrestation était un message politique envoyé par le gouvernement à la communauté musulmane de France, avertissant que tout le monde, peu importe le niveau d’éducation, était sous surveillance.

Les travaux d’Hicheur au CERN, le premier laboratoire européen de physique des hautes énergies et situé près de Genève en Suisse, ont certainement contribué à faire quelques bonnes manchettes dans la presse, comme par exemple « un présumé terroriste nucléaire est un important physicien ». Et, à ce stade, Nature n’est pas en mesure de juger de son innocence ou de sa culpabilité, ceci étant une question qui relève du système judiciaire français.

Néanmoins, le cas d’Hicheur mérite l’attention parce que l’avoir maintenu en détention pour une si longue durée - bien que ce soit légal en France sous le régime de lois antiterroristes très répressives - semble clairement abusif en ce qui concerne les droits de l’Homme.

Une procédure judiciaire qui tient du secret

Tout au long des deux années qui ont suivi son arrestation, ses échanges en ligne, qui se sont faits dans le cadre de web forums et chat room [sur Internet] sont restés secrets par volonté des autorités françaises. Hicheur et ses avocats sont impatients de faire connaître ce qu’il a dit, mais la loi le leur interdit. Hicheur reste enfermé et largement oublié. Cette semaine, un juge qui, sous le système français est indépendant de la police et de ceux qui intentent les poursuites, doit boucler une « enquête préliminaire » et communiquer l’affaire au parquet, lequel déterminera si un procès doit avoir lieu. En droit français, font savoir ses défenseurs, Hicheur pourrait rester en prison pour une période supplémentaire de 12 mois sans que son cas ait été jugé.

Que des scientifiques, et des physiciens en particulier soient persécutés n’a rien de nouveau. Pendant la guerre froide, les chercheurs des deux côtés du rideau de fer ont souffert pour leurs opinions politiques. Aux États-Unis, la carrière de Robert Oppenheimer a été ruinée par des rumeurs de sympathies communistes. Et en Union Soviétique, le scientifique et dissident Andreï Sakharov a passé une grande partie des années 1980 en exil intérieur à cause de ses opinions tranchées sur les droits de l’Homme et sur le contrôle des armements.

Hicheur fait partie d’une nouvelle génération. Tandis que son incarcération s’étend à sa troisième année, Omid Kokabee, un physicien formé aux Etats-Unis et en Espagne, attend son procès en Iran sous l’accusation « d’avoir communiqué avec un gouvernement hostile ». Toujours en Iran, plusieurs physiciens ont été mystérieusement assassinés ces dernières années par des agents inconnus, vraisemblablement dans le but de tenter de ralentir le programme nucléaire du pays.

Ces nouveaux cas sont liés au terrorisme, non pas au communisme, mais les similitudes sont nombreuses. Comme dans les années 1950 et 60, on retrouve la crainte d’une menace interne - une « cellule dormante » qui pourrait se réveiller à tout moment. La diffusion des technologies à des gouvernements hostiles est aussi un souci. Là où autrefois on trouvait Klaus Fuchs, ce scientifique né en Allemagne mué en espion soviétique, il y a aujourd’hui Abdul Qadeer Khan, le chercheur pakistanais en armements atomiques qui a organisé un réseau de trafic nucléaire.

Une communauté scientifique qui reste largement silencieuse

Il y a cependant une différence importante. Pendant la guerre froide, de nombreux scientifiques ont pris publiquement position en défense de leurs pairs en prison ; aujourd’hui, la communauté scientifique reste largement silencieuse. Hicheur a eu le soutien de ses proches collaborateurs, mais le CERN, où il a travaillé, a fait son maximum pour se démarquer de lui. La plupart des sociétés scientifiques en France et en Europe semblent se désintéresser de cette affaire. Cette indifférence s’intègre dans une tendance plus large - aux États-Unis, les organisations scientifiques évitent les campagnes en faveur des droits de l’Homme pour des scientifiques au niveau individuel en faveur de campagnes plus larges (et insipides) pour des programmes de « coopération scientifique » (voir l’article du numéro 475 de Nature : http://www.nature.com/news/2011/110... ).

Il peut y avoir deux raisons à cela. Les scientifiques persécutés durant la guerre froide étaient des chercheurs chevronnés, tandis que les victimes d’aujourd’hui ont tendance à être en début de carrière : post-doctorants et étudiants diplômés. Par ailleurs, les scientifiques qui se trouvaient des deux côtés dans cet ancien conflit [la Guerre froide] étaient liés par des origines nationales, une appartenance ethnique et la religion - ce qui semble moins vrai aujourd’hui. Les scientifiques occidentaux devraient aussi se poser la question de savoir si le fait d’être moins disposés à s’engager dans la défense d’Hicheur ne serait pas lié au fait qu’il est musulman pratiquant.

Il n’y a jamais eu de moment plus important pour prendre la défense de scientifiques tels que Hicheur. Cette année a vu de grands bouleversements dans le monde arabe, les citoyens se débarrassant de leurs régimes oppressifs. Comme membres instruits de ces sociétés, avec une pensée libre et indépendante, les scientifiques peuvent jouer un rôle dans ces bouleversements politiques. Ces chercheurs peuvent aider à ouvrir leurs sociétés sur l’extérieur et jouer le rôle si essentiel de pont entre le monde musulman et le monde occidental.

Hicheur aurait pu être un de ces ponts. Dans ses discussions en ligne, dit-il, il décourageait les actes de terrorisme contre des civils innocents. Que ce soit ou non exact, il devrait être libéré dans l’attente son procès.

(Les intertitres ont été ajoutés par le traducteur.)

Signez la pétition en ligne

Consultez le site du Comité de soutien

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Nature - Vous pouvez consulter cet article à :

http://www.nature.com/nature/journa...

Traduction : Info-Palestine

http://www.alterinfo.net

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