Aline De Diéguez : «Israël vit dans les vapeurs d'un rêve messianique»
Mohamed El-Ghazi
Algeriepatriotique : En dépit de la réprobation de la communauté internationale, Israël s'est encore une fois arrogé le droit d'attaquer le peuple palestinien, violant délibérément la résolution 242 du Conseil de sécurité de l'ONU. Pourquoi cette impunité dure-t-elle depuis que l’Etat hébreu existe ?
Aline de Diéguez : Avant de répondre à vos questions, je veux mettre l’ensemble de mes réponses sous le signe du général Sun-Tzu. Dans son Art de la guerre (VIe siècle avant notre ère), le grand stratège chinois avait compris que l’intelligence du chef est la clé du succès : «La règle, c’est que le général qui triomphe est celui qui est le mieux informé.» Car «tout l’art de la guerre est basé sur la duperie.» Mais la connaissance ne doit pas se limiter au terrain : «Connais l’adversaire et surtout connais-toi toi-même et tu seras invincible.» Or, les Palestiniens sont en guerre depuis un siècle contre un ennemi qui a pour objectif de les déposséder de leur territoire, de leur identité et de leur nation ; et depuis un siècle, ils ont perdu toutes les batailles. Ce n’est évidemment pas par hasard. Quelles sont les armes qu’ils n’ont pas eues, celles qu’ils n’ont pas vues et quelles sont celles qu’ils n’ont pas su utiliser ?
Avant de parler des résolutions de l’ONU, je rappelle que l'article 22 du Pacte de la Société des Nations créée par le Traité de Versailles de 1919, et qui reprenait le 14e point que le très sioniste colonel House, représentant du président Wilson, a imposé aux Européens, posait les principes généraux du régime du mandat. Il concernait les peuples des territoires encore incapables «de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne». Cet article paternaliste confiait la tâche d’assurer le bien-être et le développement, tâches constitutives d'une « mission sacrée de civilisation», à des pays tuteurs, c'est-à-dire « des nations développées, qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d'assumer cette responsabilité et consentent à l'accepter». Cet article définissait le périmètre des droits et des devoirs du mandataire et du mandaté, exercés sous le contrôle de la SDN.
Or, le paragraphe 2 de cet article 22 du Pacte de la SDN prévoyait une hiérarchie de la tutelle en fonction du « degré de développement des peuples considérés» et la Palestine figurait dans la catégorie A, aux côtés de la Syrie, du Liban, de l’Iraq et de la Transjordanie, catégorie qui concernait les territoires dont le niveau de développement était tel qu’il était possible de les considérer comme des nations indépendantes sous la seule réserve de l'application du mandat, c'est-à-dire de guide et de conseil dans l’administration. Le mandat n’était pas la colonisation, mais une simple gestion administrative temporaire.
C’est donc depuis 1919 que la Palestine jouit du statut de nation indépendante
sous mandat anglais et la fin de la tutelle du mandataire en 1945 lui donnait pleinement droit à l’indépendance totale. Alors que les Israéliens ne cessent d’invoquer la fameuse déclaration Balfour qui date de 1917 et qui n’est qu’une lettre privée, manuscrite, dépourvue de toute valeur en droit international, quels sont les Palestiniens qui aient jamais invoqué l’argument de leur légitimité internationale et de leur statut officiel de nation indépendante depuis 1919 ? Aucun.
J’en viens aux résolutions de l’ONU. Vous invoquez une certaine résolution de l’ONU parmi les dizaines d’autres qu’Israël n’a pas respectées. Or, près de quatre-vingt – je dis bien quatre-vingt - résolutions de l'ONU condamnent expressément l’Etat hébreu et trente-neuf autres, tout aussi sévères, stigmatisent des comportements violents, illégaux et même sauvages, des violations patentes du droit et des conventions internationales, injustement et arbitrairement bloquées par un véto des USA dont on ne sait s'ils sont la tête ou la queue du binôme monstrueux qu'ils forment avec Israël. Vous trouverez la liste en note.
Alors qu’une seule résolution a suffi à provoquer le bombardement de la Libye et l’élimination de son dirigeant, pas une seule des cent vingt résolutions condamnant Israël n’a trouvé le plus petit commencement d’application. L’Etat sioniste poursuit donc tranquillement son travail de harassement d'un autre peuple, viole les lois et les conventions internationales, légalise la torture, y compris celle des enfants, n'hésite pas à prendre en otage des familles entières sous prétexte qu'un de ses membres est soupçonné du méfait de résistance ou d’appartenance au Hamas, pratique ouvertement des assassinats collectifs, des arrestations arbitraires et des exécutions extra-judiciaires.
Comme il n'y a pas eu de réaction internationale sérieuse après les nettoyages ethniques de masse de 1948 ou de 1967, cette politique se poursuit inexorablement depuis soixante ans et progresse d'année en année en intensité et en monstruosité. Il faut avoir entendu l'ambassadeur Israël à Paris de l'époque, Elie Barnavi, balayer d'un revers de la main et sur un ton méprisant l'une des condamnations en la qualifiant de «rituelle» pour mesurer leur effet sur les politiciens de cet Etat qui poursuit tranquillement les vols de terre et la colonisation.
Cette obstination dans la violence possède sa propre motivation interne. Les Palestiniens n’ont pas compris que le cerveau de leurs bourreaux fonctionne sur un autre mode que celui du reste de la planète et que l’Etat qu’ils essaient d’imposer est une mythologie qui a cru pouvoir se réincarner dans l'Histoire. Face à cette réalité mythique, les arguments de politique rationnelle sont de peu de poids. Les autres Etats de la planète non plus n’ont pas intégré cette réalité anthropologique.
Ayant vécu dans les vapeurs d'un rêve messianique durant des siècles, cet Etat projette sur le monde qui l'entoure la géographie mentale qu'il porte dans sa cervelle depuis deux mille ans, et il prétend non seulement substituer sa réalité mythologique au monde dans lequel il a débarqué, armé jusqu'aux dents et fort du soutien militaire et financier des banquiers anglo-saxons, mais imposer ses phantasmes théologiques à la planète entière.
C'est ainsi qu'aujourd'hui même, dans les pseudo-négociations auxquelles se prête rituellement le gouvernement israélien afin de gagner du temps, il affirme tranquillement que «le droit international n'a rien à voir» avec la guerre qu'il mène contre le peuple palestinien, parce qu'il possède «un titre de propriété sur Eretz Israël» (la terre d'Israël). Il ne s'agit donc pas pour lui de «rendre des territoires», mais de consentir généreusement à «en donner».
Seuls les ignorants de la psychologie messianique des dirigeants et de la masse de la population israélienne peuvent s’étonner de la réponse méprisante de Benjamin Netanyahou à la suite de la menace de la France et de l’Angleterre de convoquer les ambassadeurs israéliens après la décision de l’Etat hébreu de construire une nouvelle colonie en Cisjordanie forte de trois mille logements, suite à la démarche de la Palestine à l’ONU.
Il en résulte que les Palestiniens sont aujourd'hui les victimes collatérales de la rédaction d'un vieux code de théologie et de morale rédigé il y a plus de vingt-cinq siècles par les prêtres héréditaires d'une petite tribu de nomades du sud de l'actuelle Palestine. Or, le droit international ne connaît pas d'Etat dont la définition se fonderait sur la religion ou la race. Le droit international public s'appelle également le «droit des gens» – le jus gentium, au sens latin de gens, la nation, le peuple. La Palestine étant une nation reconnue depuis 1919, aucun organisme ne possédait le pouvoir de la priver du droit universel des peuples à disposer d’eux-mêmes et ce droit est inaliénable. Ni la résolution 181, ni la reconnaissance d'Israël en tant qu'Etat à laquelle Yasser Arafat s'est résigné en 1988 n’ont de fondement en droit international public, car aucun peuple ne dispose du pouvoir absurde de parapher son propre auto-anéantissement. C'est ainsi que la Déclaration de 1988 est simplement «nulle et non avenue».
Certes, une guerre et un traité de paix peuvent se conclure par le rapt d'une portion du sol d'un Etat à son propriétaire ; mais ce coup de force n'est jamais légitimable en droit pur et demeure toujours récusable. C’est ainsi que la France a reconquis l'Alsace et la Lorraine par la force des armes en 1918. De même, une grande partie de la Palestine a été conquise par des colons, mais les territoires perdus peuvent être reconquis et revenir à leurs légitimes propriétaires.
Le gouvernement israélien accuse le Hamas d'être le principal coupable dans cette guerre, tandis que les Occidentaux l’assimilent – à demi-mot – à une organisation terroriste. Que représente le Hamas pour vous qui militez aux côtés des Palestiniens ?
La politique ne connaît qu'un certain type de force, celui que les physiciens appellent la «force résistante». L'expansion impériale ne s'arrête que lorsqu'elle rencontre un mur, c'est-à-dire une résistance, ou qu'elle déraille, c'est-à-dire qu'elle s'autodétruit. La première et la plus classique de ces forces est la résistance des peuples envahis ou conquis, mais ce n'est pas la seule. Ainsi, grâce à ses petites roquettes artisanales qui ne font pas de gros dégâts, mais créent la panique dans les localités frontalières, Ghaza la vaillante et la résistante tient tête à un occupant monstrueusement armé. Lors de la dernière ruée de l’armée des occupants, Ghaza a même réussi à envoyer une bonne partie de la population israélienne, y compris le gouvernement tout entier, se terrer dans des abris ou des canalisations. Malgré les tentatives de l'occupant de l'affamer, de l'empoisonner ou de la terroriser, de la bombarder cruellement d’une manière répétitive, les mouvements de résistance à Ghaza viennent de réussir à imposer un cessez-le-feu, plus ou moins à leurs conditions, ce qui, dans ce type de rapport de force, constitue une victoire. Les dirigeants de Ghaza ont été très légitimement élus. Il se trouve que le Hamas est arrivé en tête. C’est ainsi. Faut-il ne respecter le résultat d’un vote démocratique, donc de la volonté du peuple, que s’ils répondent aux vœux de tel ou tel Etat étranger ? Mais le Hamas n’est pas le seul mouvement de la résistance palestinienne et ce n’est pas militairement le plus actif. La loi internationale reconnaît à un peuple occupé le droit de se défendre par tous les moyens, y compris par la force. La résistance palestinienne est donc parfaitement légitime. Les déclarations de l’occupant sont sans valeur aucune. Les colons européens ont bafoué tous les traités qu'ils ont signés avec les Indiens d'Amérique du Nord et du Sud et ont fini par exterminer l’immense majorité des autochtones amérindiens, puis à parquer les survivants dans des enclos appelés «réserves». Voilà un bel exploit de la «civilisation» occidentale. Israël s’inspire du même modèle et il croit que ses mesures coercitives, de plus en plus violentes, finiront pas dompter la résistance de ses indigènes.
Dexia, une banque qui finance les colonies juives en Palestine. D. R.
Aline De Diéguez : «Le sionisme puise sa puissance des banques anglo-saxonnes» (II)
Comment qualifieriez-vous la réaction des pays arabes, et de la Ligue qui les regroupe, face aux agressions d’Israël contre le peuple palestinien ?
Blablabla. Réunionite à effet nul.
Les Israéliens s'apprêtent à voter le 22 janvier prochain, dans le cadre des législatives anticipées décidées par le Likoud. Ce parti présidé par Netanyahou est donné favori par les sondages locaux. Pensez-vous que l'agression contre Ghaza entre dans ce contexte électoral ou visait-elle plutôt à saboter le projet de résolution qui confèrerait à la Palestine le statut d'Etat observateur à l'ONU ?
Oui, certainement. Benjamin Netanyahou espérait un surcroît de popularité en vue des élections à venir. Il comptait offrir à ses électeurs un plat, dont ils sont friands, de destructions spectaculaires, de ruines fumantes, de cadavres et d’enfants ensanglantés. En dessert, il se serait vanté d’assassinats «ciblés» de redoutables «terroristes». Apparemment, les images sanguinolentes d’enfants massacrés ont jusqu’à présent représenté un efficace dopant électoral. Il avait peut-être prévu que la «communauté internationale» clamerait comme d’habitude que sa réaction est disproportionnée et qu’on en resterait là, comme d’habitude.
Or, dans un régime qui se dit «démocratique», la ligne d'un gouvernement est, globalement, le reflet du sentiment général des électeurs. La violence de l'armée, acceptée et soutenue par la société israélienne tout entière, n'est donc que le reflet de la violence des sentiments des Israéliens eux-mêmes.
En effet, non seulement, et à une immense majorité, la société israélienne applaudit les bombardements de civils, mais elle en redemande, comme le montraient les signatures et les mots doux des fillettes israéliennes sur les missiles qui allaient pulvériser des fillettes libanaises en 2006. Les emprisonnements arbitraires, les tortures que subissent des milliers de détenus qui croupissent dans leurs geôles – y compris des femmes et des enfants –, les humiliations, les spoliations, les assassinats, loin de provoquer une indignation, ou au moins une empathie naturelle envers des victimes carbonisées par des bombes au phosphore, étaient accueillis par des hourrah et des danses…
Benjamin Netanyahou était donc fondé à tabler sur un gain électoral. De plus, il semble que le héros de «Plomb durci» venait de se débarrasser des accusations de magouilles financières qui ont glissé sur lui sans laisser de traces. Il s’agissait donc de prendre de vitesse un rival qui avait fait ses preuves en matière de barbarie. Un troisième argument était d’obliger un Barack Obama, dont l’animosité à l’égard de Benjamin Netanyahou est notoire, à proclamer publiquement son soutien indéfectible à l’Etat sioniste et à accuser le Hamas et «toutes les organisations terroriste » d’exercer une «violence injustifiable» contre «le peuple d’Israël», ce que son porte-parole s’est empressé de clamer. Sauf que les nouveaux missiles à plus longue portée de la résistance ont changé la donne. De plus, cette fois, les images de ce nouveau massacre et des destructions, alors que la reconstruction n’était pas achevée après les dévastations de «Plomb durci» en 2008, ont soulevé une indignation mondiale qu’Israël n’avait pas prévue, si bien que des Etats hésitants – la France, l’Espagne, la Belgique, entre autres – n’ont pas osé aller contre les sentiments de la majorité de leurs populations. Leur vote positif a provoqué la colère des groupes de pression sionistes habituels.
Les Etats-Unis soutiennent l'Etat sioniste et le protègent envers et contre tous. Comment expliquez-vous ce soutien acharné ? Est-ce seulement une affaire de lobby sioniste ou y a-t-il des raisons inconnues ?
J’ai traité ce sujet en détail dans mon dernier texte. Les lobbies sionistes sont certes nombreux et puissants aux Etats-Unis et il existe également un courant plus nombreux encore, même s’ils sont moins fortunés, de protestants fondamentalistes, plus virulents et plus fanatiques que les juifs et qui soutiennent l’Etat sioniste pour des motifs théologiques. Ils sont appelés «chrétiens sionistes». Ils professent que la judaïsation de toute la Palestine est une étape nécessaire avant le retour du Messie, lequel triomphera définitivement du mal sur la terre et convertira les juifs au christianisme. On devine que cette dernière perspective est loin de plaire aux Israéliens mais, en attendant, ce soutien bruyant est précieux.
Mais il s’agit là de la partie émergée de l’iceberg. C’est dans les grandes banques anglo-saxonnes et les puissantes multinationales d’outre-Atlantique qu'il faut chercher la source jaillissante de ce qui devint le puissant fleuve sioniste. C'est grâce à une manne financière, quasiment sans limites, que cette idéologie messianico-colonialiste a trouvé la force de concrétiser son rêve. Des hommes comme le rabbin Stephen S. Wise, premier président du congrès juif américain, puis mondial ou le colonel House, évoqué ci-dessus et éminence grise farouchement pro-sioniste du président Woodrow Wilson, ont joué un rôle déterminant dans la concrétisation de ce fantasme à partir du début du XXe siècle, puis durant les préparatifs des deux guerres mondiales. D'ailleurs, dans son gros ouvrage intitulé Les Juifs, le monde et l'argent, Jacques Attali se glorifie de la puissance que les institutions bancaires ont donnée et continuent de donner à ses coreligionnaires.
Certes, le rêve sioniste d'inspiration proprement biblique a germé dans les plaines de Russie, d'Ukraine et de Pologne et y a été préparé de longue main. Cependant, c'est grâce à la fabuleuse manne financière de groupes puissamment organisés et agissant dans les coulisses des pouvoirs politiques, et qui sont parvenus à tordre, dès l'origine, la politique de l'Angleterre et des Etats-Unis dans le sens des intérêts sionistes, que cette idéologie a pu se concrétiser. Les intérêts de l'idéologie sioniste et ceux de l'empire américain naissant ont donc, dans les débuts, semblé coïncider parfaitement.
Les groupes financiers, économiques et médiatiques qui venaient de se constituer outre-Atlantique grâce à des méthodes qu’on peut qualifier de maffieuses – leurs richissimes propriétaires sont désormais désignés sous le nom de «barons voleurs» – étaient, pour un très grand nombre d'entre eux, entre les mains de mouvements favorables à l'idéologie sioniste quand ils n'en étaient pas des membres agissants. Ils ont accompagné et favorisé la montée en force du nouvel empire qui allait, comme tous les empires qui l'avaient précédé, s'emparer progressivement des rênes du pouvoir mondial, faire main basse sur les richesses de la planète et devenir ouvertement, et le plus naturellement du monde, le protecteur et le financier de l'idéologie sioniste, source principale du chaos mondial depuis le début du XXe siècle.
La réussite du colonialisme politico-religieux sioniste est incompréhensible si l'on ne voit pas qu'il est l'enfant et la projection au Moyen-Orient du colonialisme économique souterrain des puissances financières anglo-saxonnes sur la planète entière, une sorte de pseudopode géographiquement délocalisé de l'Occident colonisateur, une tête de pont placée dès l'origine sous la protection de la City et de Wall Street – et notamment du très efficace banquier états-unien Bernard Baruch ainsi que de la Maison Rothschild anglaise et de ses filiales
Sans la domination financière de la City sur la planète jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et la création de sa monnaie privée le 23 décembre 1913, le dollar, par les soins de ses filiales dans le Nouveau Monde, le sionisme serait resté une excroissance nationaliste hérétique, et demeurée localisée en Europe de l'Est, d'un judaïsme principalement pharisaïque et d'influence talmudique.
Sans cette domination-là, l'Etat d' Israël n'aurait pas pu voir le jour et les fidèles du dieu Jahvé auraient continué à vivre entre eux dans les multiples Etats dont ils étaient devenus nominalement les citoyens, selon les préceptes ségrégationnistes d'Esdras pour la majorité d'entre eux, ou se seraient convertis à un judaïsme spirituel qui, sautant à pieds joints par-dessus les principes du Talmud, trouve sa source chez ses grands prophètes bibliques. Il survit aujourd'hui dans le petit groupe des Naturei Karta, mais leur nombre est devenu infime.
La Seconde Guerre mondiale a rebattu les cartes et le centre du pouvoir s'est déplacé de la City de Londres à Wall Street. De plus, les persécutions dont les juifs furent victimes de la part de l'Allemagne nazie et dans une grande partie de l'Europe ont fourni des arguments nouveaux au mouvement sioniste. Ils ont permis, dans la foulée, son officialisation au mépris du principe fondateur de toute légalité internationale, à savoir le droit des peuples à disposer d'eux- mêmes.
Qu’est-ce qui fait que les puissances mondiales se sentent obligées de courber l'échine devant l'arrogance d'un Etat aussi petit qu'Israël ?
Les «puissances mondiales», comme vous dites, sont reliées à leurs moyens de communication par un cordon ombilical invisible, mais omnipuissant. Politique et communication se superposent.
Or, dans un monde qui papillonne d'une image à l'autre, d'une interview à l'autre, et où la vérité et la réalité ont peu de poids face à des bouffées émotives, à une savante mise en scène, aux raisonnements astucieusement agencés, aux manipulations émanant de groupes de pression et à la complicité de tous les médias occidentaux, des années-lumière d'habileté, d'efficacité et de professionnalisme séparent les Palestiniens et les Israéliens.
Outre le handicap de se trouver face à une puissante cohorte de lobbyistes affichés ou masqués d'Israël, il existe des raisons culturelles, linguistiques, politiques et psychologiques propres aux Palestiniens eux-mêmes et qui expliquent leur sidérale faiblesse face aux médias du monde entier. Un locuteur qui s'exprime dans un anglais élémentaire ou un français hésitant ne fait, hélas, pas le poids dans le théâtre médiatique.
Ainsi, depuis que Mme Leila Shahid n’est plus à Paris, la Palestine a pratiquement disparu des médias français.
Il est urgent que les Palestiniens envoient dans toutes les grandes capitales du monde des représentants qui soient de grands intellectuels familiers du style d'argumentation des médias occidentaux et capables de s’exprimer dans la langue du pays.
Constamment aux aguets, ils devraient exiger des droits de réponse face à l'omniprésence et à la variété des représentants de la thèse israélienne. Ceux-ci sont innombrables, tous parfaitement francophones. Et la liste s'allonge avec les partisans déclarés ou crypto-sympathisants, à laquelle s'ajoute toute une brochette de journalistes qui présentent volontairement ou par ignorance une information tellement biaisée qu'elle s'apparente à un lavage de cerveau.
A la faiblesse des Palestiniens sur le terrain médiatique s’ajoute la paralysie de l’Allemagne et de tous les pays européens qui ont été peu ou prou occupés par les troupes nazies et qui ont participé à la persécution de leur population juive durant la dernière guerre. Des armées de vigilantes vigies veillent, l’épée de l’antisémitisme sortie du fourreau et prête à s’abattre sur tous les commentateurs et géopoliticiens audacieux qui s’écarteraient de la doxa officielle. Souvenez-vous de la violence de la réaction des sionistes européens et israéliens à la suite de la publication par Günter Grass de son poème sur la Palestine, Ce qui doit être dit, dans un quotidien allemand.
Les enfants, cible privilégiée d'Israël. D. R.
Aline De Diéguez : «Le boom démographique palestinien affole les Israéliens» (III)
Dans votre analyse intitulée «La légende dorée du sionisme», vous avez prédit la chute de l'Etat sioniste, comme toute idéologie politique ou religieuse à travers le monde. Quelles sont les indicateurs qui confirmeraient le déclin de cette entité aujourd’hui hégémonique ?
L'Histoire enseigne que seul l'échec de son entreprise bloque l'expansion impérialiste naturelle des peuples. Louis XIV a fini par perdre les provinces conquises en Helvétie et en Wallonie, Napoléon a terminé sa vie sur l'îlot de Sainte-Hélène, la révolte de son armée a mis fin à l'extraordinaire épopée d'Alexandre en Asie, l’empire ottoman n’existe plus, le royaume chrétien de Jérusalem n’est plus qu’un souvenir dans les livres d’histoire, il ne reste rien de l'empire de Charles Quint, le IIIe Reich est mort, le marxisme s'est écroulé comme un château de cartes. Après l'échec de la guerre du Vietnam, l'Amérique est en passe de devoir admettre qu'elle subit le même type de déroute en Irak et en Afghanistan et que son rêve de «remodeler le Grand Moyen-Orient» est à ranger dans le magasin des accessoires. Le rêve d’un empire sioniste rejoindra le grand cimetière des éléphants politiques. Le mythe est le destin de l'actuel Etat d'Israël et sa carapace mentale, mais il est également son talon d'Achille.
La véritable arme de destruction massive, la plus sophistiquée et la plus meurtrière d’une colonie de peuplement qui se veut en expansion, est l'arme des pauvres, l'arme qu'aucune bombe n'arrêtera, l'arme qui explosera dans les statistiques et dans les rues : la multiplication des bébés. C’est la botte secrète des Palestiniens. A Ghaza, la moitié de la population a moins de 18 ans. La démographie a toujours été la clé de la survie d’une nation et la condition de son développement. Le boom démographique palestinien affole Israël. Il s'amplifie malgré ses tentatives les plus sadiques de nuire à la santé des mères, de les empêcher de se soigner et même d'accoucher dignement en les bloquant volontairement à des barrages barbares. Le ventre des femmes, voilà l’ennemi, l’usine à fabriquer des terroristes. Les appels à l’immigration ne sont plus entendus. Les derniers missiles du Hamas seront encore plus dissuasifs sur les candidats potentiels. Israël ne sait pas comment désamorcer la bombe démographique palestinienne. C'est pourquoi l'apparente phase ascendante de l'expansion impériale d'Israël est trompeuse. Comme la locomotive de la Bête humaine, le train du grand rêve sioniste est lancé dans une fuite en avant désespérée.
Verrons-nous un jour les deux peuples palestinien et israélien vivre côte à côte, en paix et en toute sécurité ?
Comment croire que l'Etat-bourreau met la corde au cou à tout un peuple, l'affame, l'assoiffe, le pilonne, l'empêche de se soigner, de se déplacer, martyrise et terrorise ses enfants et les empêche d'étudier, l'emmure, vole l'argent de ses impôts, le soumet à l'arbitraire de colons féroces, armés et casqués comme des martiens et de policiers brutaux et sadiques aux check-points, blesse, humilie et assassine, l'Etat qui bombarde la seule centrale électrique de la région, qui déracine les merveilleux oliviers centenaires pour édifier sa muraille, l'Etat qui dévaste les vergers et les cultures d'un peuple colonisé et emprisonné, qui vole ses terres, son eau, ses ressources, qui poursuit la colonisation, écrase les maisons au bulldozer, empêche les agriculteurs de travailler, défonce les routes, détruit les infrastructures, les récoltes, ravage le port, l'aéroport, les terrains de sport et les aires de jeu, bombarde la plage, les bateaux de pêche, pilonne même les hôpitaux, les écoles et les ambulances, laisse le champ libre à ses snipers assassins, empoisonne la population de Cisjordanie à petit feu en se débarrassant de ses déchets toxiques dans les territoires palestiniens au mépris de la protection de l'environnement et des nappes phréatiques, invente chaque jour de nouvelles brimades et de nouvelles humiliations, que cet Etat-là, qui qualifie la résistance héroïque de «terrorisme», puisse un jour se métamorphoser en un voisin normal capable d’accepter gentiment à ses côtés un Etat qu’il déteste et méprise, et une population qu’il rêve de voir s’évaporer ou disparaître sous terre et dont la seule existence constitue un obstacle infranchissable à son rêve de conquête d’un empire sioniste incluant la totalité de la Palestine, le Liban, l’Irak, une partie de l’Egypte et même plus. Israël a donc tenté – et partiellement réussi pendant un certain temps – à occulter les circonstances de son installation et les massacres qui l’ont accompagnée : Deir Yassine, Haïfa, Jaffa, Acre, Oum Al-Fahem, Al-Ramla, Al-Daouayma, Abou Shousha, Jénine, Ghaza et tant d’autres ont crié dans le désert. Alors qu'Israël se proclame menacé par des forces obscures et féroces qui voudraient «rejeter sa population à la mer», comme il dit, on voit jour après jour se produire exactement le contraire : à savoir le bulldozer israélien comprimer la population palestinienne dans un espace de plus en plus resserré et multiplier les colonies selon un plan longtemps mûri à l’avance. Les plans des trois mille logements dont Benjamin Netanyahou annonce la construction en représailles à la récente attribution par l’ONU du statut d’un Etat observateur non membre à la Palestine ne sont évidemment pas sortis d’un tiroir durant la nuit. D’autres projets de ce genre existent évidemment déjà et n’attendent que l’occasion d’être annoncés.
Les Palestiniens sont le miroir dans lequel Israël voit son péché. La laideur de l'image que le miroir lui renvoie révolte la «belle âme» victimaire israélienne, et la pousse, tel le Dorian Gray d'Oscar Wilde, à vouloir briser ce miroir. Jamais Israël ne pardonnera aux Palestiniens les meurtres qu’il commet sur eux et tous ceux qu’il rêve de commettre. Mais comment réussir à tuer discrètement quatre millions d'individus sans susciter un scandale international et passer du stade officiel de victime à celui de bourreau alors que le statut de victime est si confortable et si rentable ? Les gouvernements israéliens successifs sont taraudés par une seule obsession : comment se débarrasser des Palestiniens. Dans l’immédiat, ils rêvent non pas de vivre à côté d’eux ou de partager un même Etat, mais de les exporter tous en Jordanie avec l’aide du grand «démocratiseur» du Moyen-Orient dont les pieds ne touchent plus terre : l’omniprésent cheikh du Qatar qui vient de démontrer ses qualités de démocrate et de connaisseur littéraire en faisant condamner à la prison à vie un poète dont il n’aime pas les vers.
Tant qu’Israël sera relié au cordon ombilical nourricier des dollars qui coulent à flot des banques dorées américaines, son obstination et son arrogance continueront comme devant et ce ne sont pas les couinements de Paris, de Londres, de l'Union européenne et même de Washington qui bouleverseront les projets d’un Benjamin Netanyahou qui proclame fièrement que la décision de l’ONU est une «attaque contre le sionisme et contre l'Etat d'Israël qui doit nous conduire à augmenter et accélérer la mise en œuvre des plans de construction dans toutes les zones où le gouvernement a décidé de bâtir».
Les conséquences du vote du 29 novembre…
Il est toujours bon d’emmagasiner un avantage. Cependant, l’importance majeure de ce vote réside dans la défaite diplomatique d’Israël, qui a entraîné à sa suite celle des Etats-Unis. Un seul petit Etat européen a rejoint le camp américano-sioniste. Les microscopiques îlots du Pacifique financés par l’oncle Sam ne sont là que pour donner automatiquement cinq voix assurées à la position des Etats-Unis. Malgré un forcing acharné des ambassadeurs en poste dans toutes les capitales, le vote des Etats européens a stupéfié et déçu les pro-israéliens. «Nous avons perdu l’Europe», se lamentait le CRIF français.
«C’est toujours bon à prendre, mais ce n’est pas ça qui mettra fin à l’occupation», tel était le sentiment général des Palestiniens, échaudés par les dizaines de textes sortis des imprimeries de l’ONU et demeurés sans le moindre effet sur le terrain. Ce nouveau statut ouvre des droits nouveaux pour les Palestiniens, encore faut-il les revendiquer. La seule arme sérieuse des Palestiniens serait de ratifier le Statut de Rome et d’accéder ainsi au droit de porter plainte contre les Israéliens devant la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre commis à Ghaza, pour la construction illégale de colonies en Cisjordanie occupée ou pour le mur monstrueux édifié sur leurs terres. Mais Mahmoud Abbas a déjà annoncé qu’il n’utiliserait cette arme que pour les crimes à venir et François Hollande essaie d’atténuer le vote positif de la France en demandant aux Palestiniens de retourner à la fameuse «table» des négociations sans conditions.
C’est donc une victoire symbolique pour la Palestine – mais les symboles sont importants. Elle remet Mahmoud Abbas en selle alors qu’il était au fond du gouffre après ses déclarations sur le non-retour des réfugiés à la télévision israélienne. On peut espérer sans trop y croire qu’il saura utiliser ce succès pour aider à rompre le criminel blocus de Ghaza et parvenir enfin à une unification de tous les mouvements palestiniens. Espérons qu’il dissoudra enfin sa milice au service de l’occupant qui traque, maltraite et emprisonne les résistants de Cisjordanie. Espérons également qu’un nouveau cycle de vingt ans de vaines «négociations» n’est pas au bout de la route.
Si telle était l’intention de M. Abbas, les résistants de Ghaza qui viennent de payer un lourd tribut à la barbarie de l’Etat israélien, et pour la deuxième fois en quatre ans, sauront d’autant mieux faire entendre leur voix. D’ailleurs, Mme Leïla Shahid, déléguée générale de l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne, et devenue ambassadrice de Palestine depuis le 29 novembre, a déclaré, lors d’un entretien à la RTBF, que «la stratégie de la négociation avec Israël est un échec». «Nous avons commencé à négocier à Madrid en 1990, (...) on a arrêté la lutte armée, (...) et Israël nous a donné une claque», constate-t-elle. «Dites-moi à quoi ont servi les négociations pendant vingt ans ?» Si une partie d’un Fatah de Cisjordanie jusqu’alors amorphe et collaborationniste se joint aux résistants de Ghaza, l’espoir renaîtra en Palestine. Je termine ce dialogue comme je l’ai commencé avec un conseil du grand stratège chinois Sun-Tzu : «La prudence et la fermeté d’un petit nombre de gens peuvent venir à bout et dompter même une nombreuse armée.»
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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