Howard Zinn ou l’histoire sous (bonne) influence: Christophe Colomb et la civilisation occidentale, 1ère partie…

 

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“Les indiens ont été tellement de fois déçus et trahis par les hommes blancs, que l’expression ‘homme blanc’, parmi bon nombre de natifs, est synonyme de menteur. Vraiment monsieur, je ne suis pas consentant pour faire partie de cette infamie. Je confesse volontiers que je ne suis pas indifférent au fait d’avoir un nom propre, même parmi les indiens. De plus, ils me voient et me considèrent expressément comme “votre représentant’ et mes promesses comme les promesses du ‘destructeur de ville’. Monsieur, pour votre honneur et pour l’honneur et les intérêts des Etats-Unis, je désire leur faire savoir qu’il y a quelques hommes blancs incapables de les décevoir ou de les trahir.”

 -   Timothy Pickering, négociateur du gouvernement américain avec les nations iroquoises, dans une lettre à George Washington du 21 Mars 1792 –


“La mémoire, l’Histoire sont des réminiscences de mensonges passés, de forfaitures et aussi une réminiscence que des gens en apparence impuissants peuvent vaincre ceux qui les dirigent, s’ils persistent.”

- Howard Zinn –


Christophe Colomb et la civilisation occidentale

 

Par Howard Zinn

 

Ceci est la traduction du chapitre 5 de son livre: “On Democratic Education” avec Donaldo Macedo (2005) ~ Présentation, cliquez ici ~

 

~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~

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George Orwell, qui fut un homme très sage et avisé, écrivit: “Celui qui contrôle le passé contrôle le futur et celui qui contrôle le présent contrôle le passé.”

En d’autres termes, ceux qui dominent notre société sont dans une position d’écrire notre histoire. S’ils peuvent faire cela, ils peuvent décider de notre futur. Voilà pourquoi dire l’histoire de Christophe Colomb est important. Laissez-moi ici vous faire une confession: Je ne savais pas grand chose de Colomb jusqu’à il y a environ une douzaine d’années, quand j’ai commencé à écrire mon livre “Une histoire populaire des Etats-Unis”. Je possédais un doctorat en Histoire (Ph.D) de l’université de Colombia, ce qui veut dire que j’avais reçu l’entrainement adéquat d’un historien, mais ce que je savais en fait de Christophe Colomb n’était que ce que j’avais appris à l’école primaire.

 

Quand j’ai commencé à écrire l’ “Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours”, je décidais que je devais en savoir plus sur Colomb. J’étais déjà arrivé à la conclusion que je ne voulais pas écrire encore une autre revue de l’histoire américaine, je savais que mon point de vue serait différent. J’allais écrire  a propos des Etats-Unis, vus sous l’angle des gens qui ont été largement exclus ou négligés dans les livres d’histoire: les nations natives, les esclaves noirs, les femmes et les travailleurs, qu’ils soient natifs ou immigrants.

 

Je voulais écrire l’histoire du progrès industriel d’une nation non pas du point de vue d’un Rockefeller, d’un Carnegie ou d’un Vanderbilt, mais du point de vue des gens qui ont travaillés pour eux dans leurs mines, leurs chemins de fer, leurs champs pétroliers, de ceux qui ont perdus leur vie ou des membres lors de la construction du chemin de fer. Je voulais raconter l’histoire des guerres non pas du point de vue des généraux et des présidents, pas du point de vue de ces héros militaires qui ont leur statue en places publiques, mais vue par les yeux du simple soldat, vue par les yeux de “l’ennemi”. Oui… Pourquoi ne pas voir la guerre contre le Mexique, ce grand triomphe militaire américain, du point de vue des Mexicains ?

Ainsi, comment devais-je donc raconter l’histoire de Christophe Colomb ? J’en vins à la conclusion que je devais la voir au travers des yeux des gens qui étaient là lorsqu’il arriva, les gens qu’il appelait les “indiens”, parce qu’il croyait être arrivé en Asie. Et bien, ils n’ont laissé aucun mémoire, aucune histoire. De plus, ils avaient été exterminés en quelques décennies après l’arrivée de Colomb. Ainsi je fus obligé de me tourner vers ce qu’il y avait de mieux après cela: les Espagnols qui étaient là au moment des faits. Colomb, lui-même, qui écrivit un journal d’activités.

Le journal de Colomb fut très révélateur. Il décrivit les gens qui l’accueillirent lorsqu’il débarqua aux Bahamas, c’était des indiens Arawak, parfois appelés également Tainos; il décrivit comment ils vinrent à sa rencontre en mer, comment lui et ses hommes avaient dû leur paraître venir d’un autre monde, des différents cadeaux qu’ils lui apportèrent. Colomb les décrivait comme étant pacifiques, gentils et dit: “Ils ne portent pas d’armes et ne savent pas ce que c’est qu’une épée, ils l’ont pris par la lame et se sont coupés.”

 

Au fil des mois dans son journal, Colomb parle des natifs avec ce qui parait être une grande admiration: “Ce sont les meilleurs gens du monde et par dessus tout les plus gentils, sans aucune connaissance de ce qu’est le mal, ils ne tuent pas, ne volent pas… Ils aiment leurs voisins comme eux-mêmes et ils parlent d’une manière la plus douce, ils sont toujours en train de rire…”

 

Dans une lettre, qu’il écrivit à un de ses commanditaires espagnol, Colomb déclara: “Ils sont très simples, très honnêtes et très, trop,  libéraux avec ce qu’ils possèdent.” Dans son journal, Colomb poursuit: “Ils feraient de très bons serviteurs. Avec 50 hommes nous pourrions tous les subjuguer et leur faire faire ce que nous voulons.” Ce fut ainsi que Colomb voyait les indiens, non pas comme des hôtes très hospitaliers, mais comme des serviteurs qui pourraient faire “tout ce qu’ils voulaient”.

 

Et que voulait Colomb ?

Ceci n’est pas difficile à déterminer. Dans les deux premières semaines de ses écrits de journal, il y a un mot qui revient écrit 75 fois: l’or. Dans les récits standards à propos de Colomb, il est souvent fait référence à sa foi religieuse, son désir de convertir les natifs de l’endroit au christianisme (NdT: La découverte de l’Amérique par C. Colomb est antérieure à la réforme de l’Église…), sa révérence à la bible. Oui il était concerné par Dieu, mais il l’était plus encore par l’or. Partout sur l’ile d’Hispagnola (aujourd’hui Haïti) où lui, ses frères et ses hommes passèrent le plus clair de leur temps, il fit ériger des crucifix partout. Mais ils construisirent également des échafauds partout sur l’ile, on en comptait 340 en 1500. Des crucifix et des échafauds, cette terrible juxtaposition historique.

Dans sa quête de l’or, Colomb, voyant des morceaux du métal parmi les indiens, en conclût qu’il devait y en a voir d’énormes quantités. Il ordonna aux natifs de trouver une certaine quantité d’or en un laps de temps déterminé. Si les indiens ne respectaient pas leur quota, leurs bras étaient amputés à la hache. Les autres étaient supposés apprendre de cet exemple et de remplir leur quota en or.

Samuel Eliot Morison, l’historien de Harvard, qui fut le biographe admirateur de Colomb, le reconnait. Il écrivit: “Colomb fut responsable de l’instauration de ce dur système ayant pour seul but l’exportation de l’or… Ceux qui fuirent dans les montagnes furent traqués avec des chiens, ceux qui réussirent à s’échapper succombèrent à la faim, la maladie, tandis que des milliers de pauvre hères désespérées, prirent le poison de la cassave pour mettre fin à leur misérable existence.” Morison continue ainsi: “Ainsi, la politique et les actions de Colomb, pour lesquelles il fut le seul responsable, commencèrent la dépopulation de ce paradis terrestre qu’était Hispagnolia en 1492. Des natifs originaires, estimés par les ethnologues modernes à environ 300 000 personnes, un tiers furent tuées entre 1494 et 1496 (NdT: 100 000 morts en deux ans !…). Une énumération montra qu’il restait 60 000 natifs en 1508… En 1548, Oviedo (Morison fait ici référence à Fernandez de Oviedo, l’historien officiel de la conquête du nouveau monde) doutait qu’il en restait 50 000 vivants.”

 

Mais Colomb ne parvint pas à obtenir suffisamment d’or à envoyer en Europe pour impressionner le roi et la reine ainsi que leurs financiers espagnols, ainsi ils décidèrent d’envoyer en Espagne une autre sorte de pillage et de butin extorqué: des esclaves. Ils capturèrent environ 1200 natifs, en sélectionnèrent 500 et les envoyèrent entassés dans les cales, dans leur voyage transatlantique. Deux cents moururent en chemin de froid et de maladies diverses. Dans le journal de Colomb, un écrit de Septembre 1498 stipule* “D’ici, nous pouvons envoyer au nom de la sainte trinité, autant d’esclaves qui pourront être vendus…”

 

L’horreur que les Espagnols firent subir aux indiens est décrit en détail par Bartolomé de las Casas, dont les écrits donnent le compte-rendu le plus fidèle de la rencontre et de l’interaction entre les Espagnols et les Indiens. Las Casa était in prêtre dominicain qui arriva dans le nouveau monde quelques années après Christophe Colomb, il passa quarante années de sa vie sur Hispagnolia et les iles alentours; il devint l’avocat proéminent de la cause des natifs en Espagne. Dans son livre “La dévastation des indiens”, Las Casas écrivit au sujet des Arawaks, “de leur humanité touchant à l’universel, ces gens sont les moins agressifs, les plus dénués de turpitudes et de duplicité qui soient… et pourtant, au sein de cette bergerie, débarquèrent quelques Espagnols, qui commencèrent à se comporter en bêtes sauvages et cruelles… Leur raison pour tuer et détruire… est que les chrétiens ont pour but ultime la possession de l’or…”

 

Les atrocités se multiplièrent. Las Casas témoigna d’Espagnols embrochant des indiens au fil de leurs épées pour le plaisir, fracassant la tête de nouveaux-nés sur les rochers; lorsque les indiens résistaient, les Espagnols les traquaient, équipés pour les tuer de chevaux, d’armures, de lances, d’épieux, d’arquebuses, d’arbalètes et de chiens dressés particulièrement féroces. Des indiens prirent parfois ce qui appartenait aux Espagnols, pour ce que les indiens n’avaient pas de concept de ce qu’était la possession privée et donnait eux-mêmes tout à fait librement ce qui leur appartenait, ils furent décapités ou brulés vifs au bucher.

 

Le témoignage de Las Casas fut étayé par d’autres récits venant d’autres témoins. Un groupe de moines dominicains, s’adressant à la monarchie espagnole en 1519 dans l’espoir que celle-ci intercèderait en la faveur des natifs, racontèrent les atrocités innommables, des chiens dévorant des enfants, bébés nés de femmes captives abandonnés en forêt pour y mourir, travaux forcés dans les mines et sur les terres qui laissèrent un nombre incalculable de mort par épuisement, famine et maladie. Beaucoup d’enfants moururent parce que leurs mères, épuisées et affamées n’avaient plus assez de lait pour les nourrir. Las Casas estima qu’à Cuba, 7000 enfants natifs moururent en trois mois.

 

Le plus grand nombre succomba aux maladies, parce que les Européens amenèrent avec eux des maladies auxquelles les natifs n’avaient jamais été exposés tels que la typhoïde, le typhus, la diphtérie, la petite vérole. De plus, comme dans toute conquête militaire, les femmes reçurent un traitement brutal spécial… [...]

Il y a des preuves de viols à grande échelle des femmes indiennes. D’après Samuel Morison: “Aux Bahamas, Cuba et Hispagnola, ils trouvèrent de nombreuses jeunes femmes très belles, toujours nues, et consentantes de manière présumée”. Qui présume cela ? Morison et bien d’autres. Morison vit cette conquête, comme beaucoup d’écrivains après lui le firent, comme étant cette sorte d’exaltation romantique de la découverte de l’histoire du monde. Il semble s’emporter et se laisser aller à minimiser ce qui pour lui représente une conquête masculine de plus. Il écrivit: “Plus jamais de simples mortels ne pourront espérer revivre l’exaltation, l’émerveillement et la satisfaction de ces jours d’Octobre 1492, lorsque le nouveau monde donna gracieusement sa virginité aux conquérants castillans.” Le langage de Cueno et de Morison, séparé de près de 500 ans, suggère très certainement comment la mythologie moderne a préservé et rationalisé la brutalité sexuelle de la conquête en la regardant de manière “complaisante”.

 

Ainsi j’ai lu le journal de Colomb et j’ai lu Las Casas. J’ai également lu le travail pionnier en la matière de Hans Koning: “Christophe Colomb, son entreprise”, qui, à l’époque où j’écrivis mon “Histoire populaire des Etats-Unis”, était le seul travail contemporain qu’on trouvait et qui traitait du sujet de manière différente du traitement standard.

 

Lorsque mon livre fut publié, j’ai commencé à recevoir des lettres de partout dans le pays. Voilà un livre de plus de 600 pages, commençant avec Christophe Colomb et se terminant à la fin des années 1970, et toutes les lettres que je recevais ne traitaient que d’une seule question: Colomb. Comme je parle de lui au début du bouquin, j’aurai pu interprété cela comme étant le fait que c’était tout ce que les gens avaient lu du livre, mais non, en fait il semblait que la partie concernant Colomb fut la partie du livre que les gens trouvaient la plus intéressante et intrigante. Parce que chaque Américain, dès l’école primaire a appris cette histoire de la même façon: “En l’an de grâce mille quatre cents quatre-vingt douze, Christophe Colomb s’en fût sur le grand océan”. (Ndt: il convient ici de donner aux lecteurs la phrase verbatim qui est écrite dans tous les livres d’histoire nord-américains et qui est construite pour rimer dans les deux hémistiches: “In fourteen hundred and ninety-two, Colombus sailed the ocean blue”…).

 

Combien d’entre vous ont-ils entendu parlé de Tigard, Oregon ? Et bien, je n’avais pas non plus, jusqu’à il y a sept ans, je commençais à recevoir vingt ou trente lettres par semestre d’élèves d’un Lycée de Tigard dans l’Oregon. Il semblait que leur professeur leur demandait de lire mon livre (connaissant les lycées, je devrais presque dire, les “forçait” à le lire..). Il photocopiait des chapitres, les donnaient aux élèves et après lecture, il leur demandait de m’écrire des lettres avec des commentaires sur le livre et des questions. En gros, la moitié d’entr’eux me remerciait de leur donner des données historiques qu’ils n’avaient jamais vues auparavant. Les autres étaient en colère et se demandaient où diable avais-je eu ces informations et comment j’étais parvenu à de telles conclusions scandaleuses. Une lycéenne du nom de Béthanie écrivit: “De tous vos articles que j’ai lus, j’ai trouvé celui ‘Christophe Colomb, les indiens et le progrès humain” le plus choquant.” Un autre élève du nom de Brian, 17 ans, écrivit: “A titre d’exemple de la confusion que j’éprouve après avoir lu votre livre concerne l’arrivée de Colomb en Amérique…D’après vous, il semblerait qu’il ne soit venu que pour les femmes, les esclaves et l’or. Vous avez dit que vous avez eu un grand nombre de ces informations depuis le journal de Colomb lui-même, je me demande si un tel journal existe vraiment et si oui, pourquoi n’est-il pas partie intégrante de notre histoire ? Pourquoi rien de ce que vous dites ne figure dans mon livre d’histoire ? ou dans tous les autres livres d’histoire accessibles à tout le monde quotidiennement ?” Je méditais sur cette lettre. Car elle pouvait être interprétée comme retraçant l’indignation d’un lecteur devant la frustration éprouvée par le fait de ne pas trouver cette information dans les autres livres, mais de manière plus probable, il disait en fait: “Je ne crois pas un mot de ce que vous avez écrit, vous avez tout inventé !”

 

Je ne suis pas surpris de telles réactions. Cela en dit long sur les affirmations de diversité et pluralité de la culture américaine, la fierté dans notre “société libre”, qu’une génération après l’autre a appris la même chose, à la virgule près sur Colomb et termine pour beaucoup des études supérieures avec les mêmes cinglant vides et omissions.

 

Un instituteur de Portland dans l’Oregon, Bill Bigelow, a entrepris une croisade pour changer la façon dont l’histoire de Colomb est enseignée partout en Amérique. Il explique le comment il commence souvent une nouvelle classe: il se dirige vers une fille sur le devant de la classe et lui prend son sac. Elle lui dit: Hey, vous avez pris mon sac !” et il lui répond: “Non, je l’ai découvert !…”

 

Bill Bigelow fit une étude sur des livres pour enfants récemment publiés au sujet de C. Colomb. Il les trouva tous remarquablement similaires et alignés sur ce qu’ils disent du personnage ainsi que sur la répétition du point de vue traditionnel. Une biographie typique réservée aux élèves de Cours Moyen (CM1-CM2) sur Colomb commence ainsi: “Il était une fois un petit garçon qui adorait la mer”. Et bien je peux facilement imaginer une biographie d’Attila le Hun commençant ainsi: “il était une fois un petit garçon qui aimait les chevaux” ! Un autre livre pour enfant analysé par Bigelow, cette fois-ci de niveau CE, commence ainsi: “Le roi et la reine regardèrent l’or et les indiens. Ils écoutèrent émerveillés le récit des aventures de C. Colomb. Ils allèrent ensemble ensuite à la messe et prièrent, des larmes de joie emplirent les yeux de Colomb.”

 

J’ai parlé de Colomb lors d’un atelier pédagogique avec des enseignants de primaire et de secondaire et l’un d’entr’eux suggéra que les enfants étaient trop jeunes pour pouvoir entendre les horreurs narrées par Las Casas et les autres. D’autres ne furent pas d’accord, argumentant que les histoires pour enfants sont pleines de violence, mais que les perpétrateurs de ces violences sont des sorcières et des monstres et des “méchants” et non pas des héros nationaux qui ont des jours fériés portant leur nom (NdT: Colombus Day aux Etats-Unis est fêté tous les ans le second lundi du mois d’Octobre, le même jour que le Thanksgiving canadien, jour lui aussi “dédié” à l’interaction avec les natifs. Ce qu’il s’est passé historiquement et qui est commémoré n’est pas non plus la réalité des faits…). Quelques enseignants firent des suggestions quant à savoir comment la vérité pourrait être dite sans faire nécessairement peur aux enfants et qui éviterait une falsification de l’histoire.

L’argument qui veut que les enfants ne soient pas prêts émotionnellement à recevoir la vérité n’enlève rien au fait que, dans la société américaine, quand les enfants grandissent, on ne leur dit toujours pas la vérité. (NdT: Il en va de même en ce qui concerne l’histoire de l’esclavage et de la colonisation dans la société européenne et française…). Comme je l’ai dit plus tôt, jusqu’à la complétion de mon doctorat en histoire, je n’ai jamais été mis en face des informations qui auraient pu contrer les mythes qu’on m’avait fait croire dans les classes éducatives antérieures. Il est clair que ma propre expérience est typique de la très vaste majorité des gens à en juger par les réactions choquées des lecteurs de tout âge à la lecture de mon livre et que j’ai reçues au fil du temps. Si vous jetez un œil sur un livre pour une audience adulte sur le sujet comme la “Colombus Encyclopedia” (mon édition date de 1950, mais toutes les informations importantes, incluant la biographie de Morison, étaient déjà disponibles à l’époque), il y a une longue présentation de C. Colomb d’environ 1000 mots, dans laquelle vous ne trouverez aucune mention des atrocités commises par lui et ses hommes à l’encontre des natifs. [...]

 

[...] Les disputes académiques sont intarissables sur le sujet, mais il n’y a aucune doute sur le fait que la cruauté, l’épuisement au travail et les maladies furent les résultats directs d’une dépopulation. Il y avait, d’après des estimations récentes, environ 25 millions d’indiens au Mexique en 1519, un peu plus d’un million en 1605… Malgré les différences de langage, les conclusions académiques contradictoires, les disputes sur la question insoluble, il n’y a pas vraiment de dispute sur les faits de mise en esclavage, de travail forcé, de viols, de meurtres, de prises d’otages, de ravages par les maladies amenées par les Européens et l’élimination d’un très grand nombre de natifs du continent américain. La seule dispute est sur le fait de savoir qu’elle doit être la place de ces évènements historiques dans notre narratif historique, quelle importance doit-on leur donner pour analyser les problèmes de notre temps.

 

Par exemple, Samuel Eliot Morison passe un certain temps à détailler les traitements réservés aux natifs par Colomb et ses hommes et utilise le mot “génocide” pour décrire les effets généraux de la “découverte” du nouveau monde. Mais il enterre ceci au sein d’une longue description admirative de Colomb et résume ses points de vue dans les paragraphes de conclusion de son livre: “Christophe Colomb le navigateur” comme suit: “Il avait ses qualités et ses défauts, mais ils furent largement ceux là même qui participèrent à sa grandeur, sa volonté indomptable, sa foi en Dieu et en sa propre mission de christianisation des terres au delà des mers, sa persistance bornée malgré la négligence de ses pairs, la pauvreté et le découragement, mais il n’y avait aucun défaut, ni mauvais côté à sa qualité première et essentielle: il fut un grand navigateur.” Oui ses qualités de marin!

 

Laissez-moi ici clarifier ma position. Je ne suis intéressé ni par dénoncer ni par exalter C. Colomb. Il est bien trop tard pour cela. Nous ne sommes pas en train d’écrire une lettre de recommandation pour qu’il soit capable de continuer ses conquêtes dans une autre partie de l’univers. Pour moi, l’histoire de Christophe Colomb est importante pour ce qu’elle nous dit à propos de nous-même, à propos de notre époque, à propos des décisions prises pour notre nation et pour le siècle à venir.

 

Pourquoi cette polémique aujourd’hui à propos de C. Colomb et la célébration du cinq centième anniversaire ? Pourquoi les natifs d’Amérique du nord sont-ils indignés de la glorification de ce conquérant ? Pourquoi cette défense passionnée de Colomb par d’autres ? L’intensité du débat est certainement le fait que ce ne soit pas à propos de 1492 mais bien de 1992.

 

Nous pouvons avoir un sentiment de tout cela si nous nous projetons cent en arrière, à l’époque du quatre centième anniversaire en 1892. Il y eut de grandes festivités à New York et à Chicago. A New York il y eut 5 jours de parade avec des feux d’artifices, des défilés militaires et un million de visiteurs dans la ville. Il y eut une statue commémorative dans un coin de Central Park maintenant connue maintenant sous le nom de place C. Colomb. Une grande réunion célébratrice eut lieu au Carnegie Hall et un discours de Chauncey Depew.

 

Vous ne connaissez peut-être pas le nom de Chauncey Depew, à moins que vous n’ayez jeté un œil récemment au travail classique de Gustavus Myer: “Une histoire des grandes fortunes américaines”. Dans ce livre, Chauncey Depew est décrit comme étant le représentant de Cornelius Vanderbilt et ses chemins de fer centraux de New York. Depew s’est rendu à Albany, la capitale de l’état de New York avec des sacs d’argent et des passes gratuits sur les chemins de fer pour les membres de la législature d’état de New York et il revint avec des souscriptions et des donations de terrains au profit des chemins de fer centraux. Depew regardait la célébration de la journée anniversaire de Colomb comme étant une célébration de la richesse et de la prospérité: “cela marque la richesse et la civilisation d’un grand peuple… cela marque les choses qui appartiennent à son confort et sa facilité de vivre, ses plaisirs et son luxe… et sa puissance.”. Nous savons qu’au moment où il déclara cela, il y avait beaucoup de souffrance parmi la population pauvre des Etats-Unis vivant dans les bidonvilles, ses enfants malades et mal nourris. Le poids sur les épaules de ceux qui vivaient de la terre, qui à cette époque représentaient un grand nombre de la population, était désespérant, menant à la colère des paysans et de leur alliance et à la monté en puissance du parti populiste le People’s Party. L’année suivante, 1893, fut une année de crise économique et de misère généralisée…

 

Ainsi, célébrer Colomb était patriotique, ne pas le célébrer et douter devenait anti-patriotique. Et que voulait dire “patriotisme” pour Depew ? Cela voulait dire la glorification de l’expansionnisme et de la conquête, ce que représentait Christophe Colomb et ce que représentait l’Amérique. Ce ne fut que 6 ans après son discours que les Etats-Unis expropriaient l’Espagne de Cuba et y commença sa longue occupation (sporadiquement militaire, mais continuellement politique et économique) de Cuba, de Puerto Rico et de Hawaii, également commençant sa guerre sanglante contre les Philippines afin de s’emparer du pays.

 

Le “patriotisme” qui fut attaché à la célébration de C. Colomb et la célébration de la conquête fut encore renforcée avec la seconde guerre mondiale qui vît l’émergence des Etats-Unis comme une superpuissance avec tous les empires européens maintenant en déclin. A cette époque, Henry Luce, le multi-millionnaire faiseur de président et propriétaire du Time, du magazine Life et de Fortune magazine, écrivit que le XXème siècle devenait le “siècle américain” durant lequel les Etats-Unis feraient ce qu’il voudraient dans le monde.

 

A suivre…

 

 

Lire également : Résistance politique et activisme: L’histoire sous (bonne) influence…

 

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