La honte! Le prix du sang et la vassalisation de l’Europe

Par Manuel De Diéguez

 

La honte! Le prix du sang et la vassalisation de l’Europe

 

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1 – Des funérailles prometteuses

 

2- Analyse anthropologique de la vassalisation

 

3 – Le déshonneur politique, un tribut religieux

 

4 – Un exemple de rapetissement mental

 

5 – Le tribut de la mort

 

6 – Le sang du messianisme américain coule dans nos veines

 

7 – Le sang sacré de la démocratie

 

8 – Dieu dans la démocratie

 

9 – La Théo-politique américaine

 

10 – Les Pizarre de la raison

 

 

clip_image0031 – Des funérailles prometteuses

 

L’expulsion de l’Europe de la scène du monde qu’on appelle l’histoire semble inéluctable. Mais en sera-t-elle réduite à jouer sa scénette sur les planches d’un mini théâtre? Pour l’apprendre, demandons-nous, primo, quels seront le contenu politique et la portée philosophique du déclin cérébral du Vieux Monde tout au long du lent engloutissement intellectuel de l’ex civilisation de l’intelligence critique; car, depuis la chute de l’empire roman, les décadences se sont toujours accompagnées d’une longue agonie dans la débilité mentale – mais celle-ci n’a jamais été ni observée, ni expliquée; et, secundo, demandons-nous si la fatalité d’un trépas neuronal charriera néanmoins des promesses encéphaliques inattendues, donc des sources potentielles d’un rayonnement nouveau de la lucidité politique.

 

C’est espérer que de grands fécondateurs des déclins – on les appelle des philosophes – partiront d’un bon pas à la chasse aux trésors que seuls les désastres précieux cachent dans leurs flancs. Ces éveilleurs commenceront par approfondir à vive allure le diagnostic qu’appellent les catastrophes roboratives, afin de s’assurer, avec l’énergie de la démonstration du théorème de Pythagore, que l’éjection irréversible du Vieux Monde de la planète des armes donnera un nouvel envol à la chouette de Minerve.

 

Rappelons que le verdict alarmant du corps médical est tombé depuis longtemps. C’est pour toujours, dit l’Hippocrate des nations, que l’Angleterre s’est résignée à s’asseoir sur le banc des satellites réjouis de l’Amérique et qu’elle n’y occupe même plus un premier rang qu’elle jugeait flatteur depuis 1945.

 

imageLa vassalisation conjointe du Vieux Monde et d’Albion n’est plus à démontrer : soixante-dix ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, cinq cents bases militaires du vainqueur quadrillent le territoire d’une Allemagne et d’une Italie asservies à jamais. Quant au quartier général des forces d’occupation, il s’est lové à Mons en Belgique depuis 1966, d’où il est devenu inexpugnable. Mais c’est dans les têtes que l’empire américain trône au premier chef et défie le rêve d’une éventuelle Renaissance.

 

"Intus, intus, equus trojanus." "A l’intérieur, à l’intérieur, le cheval de Troie!", s’écrie Cicéron devant le Sénat – mais personne n’ajoute avec lui: "Tant que je serai consul, vous ne serez pas attaqués dans votre sommeil ", parce que nous dormons maintenant debout et en plein jour.

 

Placé sous sa livrée étoilée, le mythe de la Liberté se loge encore dans les ors et la pompe de la République. La Maison Blanche a pu retirer ses dorures à la bombe nucléaire dont la France revendiquait les bienfaits et l’Allemagne a applaudi l’arrivée en grande pompe du bouclier fantasmatique des Patriot.

L’apostolat américain a hissé une auréole sur la tête de ses vassaux comme la France l’était hier de l’Eglise romaine: l’Europe n’est plus que la fille aînée de l’Amérique.

 

clip_image003[1]2 – Analyse anthropologique de la vassalisation

 

Comment les vaincus se mettent-ils des œillères et s’aveuglent-ils volontairement? On a pu vérifier ce phénomène psychologique à l’occasion du mutisme complet ou des demi-silences complices de la presse à la suite d’une violation flagrante du droit international dont la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal s’étaient rendues coupables en commun et au même instant.

 

On sait que le Pentagone avait intimé l’ordre à ces Etats d’interdire leur espace aérien à l’avion du Président d’un pays souverain, M. Evo Morales et l’a contraint, au mépris tant des traités que des usages diplomatiques les mieux établis, d’atterrir en urgence à Vienne où il a passé sur un lit de fortune plus de treize heures d’attente nocturne. Il lui a fallu patienter jusqu’à la mi-journée du lendemain, le mercredi 3 juillet, pour que l’Elysée se décidât à autoriser le Président de la Bolivie à retourner dans son pays, parce qu’à cinq mille kilomètres de là, les responsables du Pentagone dormaient à poings fermés – l’heure de leur réveil n’avait pas sonné et l’on n’osait prendre le risque de solliciter leur bon vouloir.

 

Le motif d’une mascarade diplomatique contraire à l’art. 5 de la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958, aux articles 411- 4, 5 et 6 du même monument législatif, à l’art. 226-15 du code pénal et aux articles 1et 2 du code de la défense? On craignait que M. Edward Snowden, dénonciateur du système de surveillance du globe terrestre mis en place par les Etats-Unis, se trouvât à bord de l’avion du Président bolivien, lequel aurait commis le forfait, ignoré en droit international, de le prendre sous son aile, si je puis ainsi m’exprimer, alors que Washington ordonnait à tous ses sujets de capturer la brebis galeuse afin de la juger et de la condamner à mort.

 

clip_image003[1]3 – Le déshonneur politique, un tribut religieux

 

Comment apprécier un ordre international dont l’immoralité conduit ses membres à l’humiliation et au déshonneur de ne plus peser les coupables sur la balance de la justice, mais seulement leurs courageux dénonciateurs? Les Romains appelaient les malheureux de ce genre des coupables de crimen majestatis, donc d’impertinents punissables pour avoir endommagé la façade de l’éthique que Tibère ou Néron affichaient en public et de châtier le civisme.

 

On voit combien Montesquieu se trompait de réserver à la monarchie le ressort moral de l’honneur et à la démocratie celui de la vertu: une démocratie peut se déshonorer, elle aussi, mais l’offense à la dignité d’un Etat de ce type n’est plus un insulte à la noblesse de son sang, mais le résultat de la décérébration soudaine de l’offensé, parce que le pouvoir populaire manque des ressources de l’aristocratie pour jeter son gant à la figure de l’offenseur. On ne peut dire à tout un peuple: "Rodrigue, as-tu du cœur?" Du coup, l’offensé tombe dans le ridicule désarmé et ce ridicule-là est une forme d’abêtissement. On vide son cerveau afin de se cacher à soi-même l’humiliation qu’on a subie, on se réfugie dans la sottise afin de se cacher sa honte.

 

Mais il va beaucoup plus loin, le comique des peuples qui ont perdu leur fierté et dont les gouvernants ont renoncé à relever le gant, faute d’épée au côté: leur presse nationale se garde bien, en l’espèce, d’avouer que le péché de blasphème, de sacrilège et de profanation à l’égard de Washington répond aux règles classiques de l’auto-culpabilisation religieuse. Sous le pieux aiguillon de leur maître étranger, les croyants se sentent coupables de désobéissance larvée.

 

Ce protocole s’inscrit en filigrane dans les clauses acceptées des peuples portant livrée. Comme il est rappelé plus haut, on remarquera que l’Italie, l’Espagne et le Portugal ayant reçu au même instant un ordre déshonorant, tous trois l’ont exécuté au péril de la vie du Président Morales, dont l’appareil se trouvait quasiment en panne de kérosène à quelques kilomètres seulement du ciel français.

 

Ces circonstances permettent d’approfondir l’analyse anthropologique de la politique et de la conduire jusqu’à une psychanalyse de l’inconscient qui régit le sacré. Car le sacrifice est à la fois une expression de la repentance du fidèle et le paiement du tribut réparateur qu’il doit acquitter. La victime tuée sur l’autel paie le prix du blasphème consubstantiel aux notions mêmes de croyance et de péché: le dieu est courroucé, il s’agit de l’apaiser par l’immolation d’un bouc émissaire. On voit comment les décadences mettent les secrets des décérébrations nationales entre les mains des chirurgiens de la théologie.

 

clip_image003[2]4 – Un exemple de rapetissement mental

 

Comme le Général de Gaulle l’avait prédit, les Etats asservis à l’OTAN ne sont plus seulement des supplétifs muets, mais des otages de leur foi dont la sujétion permet de conjoindre l’analyse politique et celle de la fonction de bouc émissaire dans une anthropologie commune à l’histoire et au sacré. On sait que le quartier général des forces américaines stationnées à perpétuité en Europe campe à Mons en Belgique depuis un demi-siècle et que les gouvernements des nations de l’Europe asservie ne rappellent jamais à leur population que leur pays se trouve placé, même en temps de paix, sous le commandement direct et exclusif d’un César lointain.

 

Du coup, c’est à tout moment que l’Amérique peut sonner le tocsin et crier à tous ses otages: "Branle-bas de combat, nous sommes attaqués par les Martiens."

 

Pis que cela, les Etats-Unis brandissent maintenant le drapeau du salut du monde au seul bénéfice de leurs calculs de politique intérieure. On savait depuis des millénaires que le glaive du vainqueur grave les jours et les nuits de sa victoire dans le train quotidien de l’histoire du monde. On sait maintenant que l’oubli de la loi du plus fort démontre le rapetissement de la boîte osseuse des vaincus.

 

C’est pourquoi la France et l’Europe cachent soigneusement à leur population le ratatinement accéléré du cubage cérébral des Etats. L’Elysée, Rome, Madrid et Lisbonne ont commencé par nier les faits ce qui, par une nouvelle erreur de jugement, exagérait le degré de sottise présupposé des citoyens aux yeux de leurs gouvernants.

 

Puis un second communiqué, non moins officiel que le premier a déclaré: "La France s’excuse auprès du Président Morales du retard apporté à la confirmation de l’autorisation de survoler son territoire", ce qui signifie que cette autorisation avait bel et bien été accordée le mardi matin au Président Morales, mais qu’elle avait soudainement besoin, le lendemain, d’une confirmation inexplicable.

 

Puis un troisième communiqué officiel, aussi irraisonné que les deux précédents est tombé de la bouche même du Président Hollande: "Nous avons eu des renseignements contradictoires concernant l’identité des passagers. Mais sitôt que j’ai appris qu’il s’agissait de l’avion du président Morales, j’ai immédiatement donné l’ordre de lui accorder le droit de survoler notre territoire". Pourquoi les passagers étaient-ils subitement devenus des suspects, pourquoi fallait-il contrôler leur identité de force ou de leur plein gré à la suite de l’atterrissage forcé de l’avion du Président bolivien en Autriche?

 

Puis un quatrième communiqué, plus burlesque encore que ses trois prédécesseurs, a allégué qu’on avait cru, bien à tort, mais de bonne foi, à l’existence de deux avions boliviens; hélas, le malheureux Président était déjà en route pour Vienne à l’instant où l’on avait enfin découvert que l’on s’était lourdement trompé. Mais la porte-parole du Gouvernement, Madame Najat Vallaud-Belkacem, déclarera, avec un retard d’une demi-journée et seulement à la sortie du Conseil des ministres du lendemain, à 11h, que le gouvernement français avait enfin levé l’embargo. Il est difficile de cacher la poutre qu’on a dans l’œil.

 

Alors, il ne restait que le recours à la métaphore bien filée: le gouvernement a expliqué sans rire que le prétendu retard "dans la compréhension de la situation" à l’aide d’une image que les spécialistes de l’inconscient de la politique n’oseraient inventer, tellement le symbolique et le réel y scellent une terrible alliance: "C’est comme lorsqu’un vêtement noué est passé à la machine à laver, il faut ensuite un peu de temps pour le démêler." Décidément le quai d’Orsay est à la recherche d’une machine à laver plus performante que celle de la Ve République dans le rinçage et l’essorage du linge de la France.

 

Les proverbes latins sont crus et francs du collier. En voici un: "Nous ouvrons de grands yeux sur les verrues d’autrui, alors que nous sommes couverts d’ulcères."

 

clip_image003[2]5 – Le tribut de la mort

 

Depuis 1945, sept décennies se sont écoulées. Pendant tout ce temps-là, nous avons payé jour après jour le prix du sang que l’empire américain est venu verser sur nos arpents. De génération en génération, les tombes des guerriers étrangers enterrés sur nos terres nous placeront sous le joug de la gratitude : le tribut que nous payons au trépas de nos saints délivreurs sera aussi coûteux que celui du Golgotha. Depuis que le principe d’une reconnaissance éperdue à l’égard d’une divinité généreuse s’est enracinée dans le mythe chrétien de la rédemption, la servitude est indéfectiblement attachée à la piété et, du coup, la piété ne pouvait que se ficeler au pardon politique. On est coupable d’une désobéissance à Dieu et aux Etats les plus puissants. Des hectares hérissés de croix innocentes gravent dans nos têtes le sceau des morts à rémunérer.

 

Elle est dévote, donc inépuisable, la dette des vassaux de leur salut à leurs saints convertisseurs. De plus, la religion enseigne que la reconnaissance de type apostolique se grave dans le capital psychogénétique des fidèles et que la coulée des siècles rend héréditaire la dette originelle. Que va-t-il advenir d’un animal crucifié par un créancier auquel son ciel sert de gibet éternel sur lequel clouer sa victoire. Un supplice vieilli sur une potence imputrescible nous rappelle que nous sommes des débiteurs condamnés à plier à jamais l’échine sous le tranchant d’une gratitude en acier trempé.

 

Les garnisons d’outre-Atlantique se sont implantées pour toujours sur notre continent. Elles répondent au plus vieux modèle d’incrustation d’un vainqueur immortel sur les terres d’un vaincu périssable. La loi du glaive est devenue messianique, apostolique et bénédictionnelle. Pourquoi l’espèce simiohumaine élève-t-elle ses tombes au rang de balance à peser le sens de l’ univers ? L’étranger enseveli dans nos champs nous ordonne de brandir sur nos têtes le sceptre d’un salut vassalisateur. Mais quelles sont les ascensions idéalement universelles et tartuffiques qui rendent sotériologique, eschatologique et apostolique le tribut du sang que nous payons sans relâche à l’Amérique depuis 1945?

 

Si nous ne perçons pas le secret de l’humiliation politique d’une Europe vassalisée par la foi démocratique et si nous n’éclairons pas notre chute à la lumière du sang de l’histoire, jamais nous ne disposerons d’un recul d’anthropologues à l’égard du tribut à la mort que la raison de ce temps nous appelle à connaître. Si nous demeurons inaptes à spectrographier la viande et l’hémoglobine que nous déposons sur les autels du mythe de la Liberté, si nous ne spectrographions pas les théologies du salut par la mort dont notre histoire s’alimente, l’asservissement de l’Europe à la théocratie américaine et à sa théo-politique, cet asservissement, dis-je, deviendra irréversible sous le sceptre d’un " libérateur " et d’un " rédempteur " auto-messianisés. Quels sont les secrets psychobiologiques d’un animal englué dans son sang ? Pourquoi paie-t-il ses tributs tour à tour à ses dieux et à ses vainqueurs sur les champs de bataille? Il est temps de placer l’OTAN sous le projecteur des Thucydide et des Tacite .

 

clip_image003[3]6 – Le sang du messianisme américain coule dans nos veines

 

Pour la première fois dans l’histoire des nations et de leurs sacrifices, la libération d’un continent ligoté aux religions du sang payant et dont le christianisme n’a fait que prendre le relais cette libération, dis-je, se trouve conditionnée par une victoire proprement cérébrale sur des garrots mentaux diversement rémunérés. Il nous faut donc préciser sur quels chemins d’un approfondissement de la connaissance rationnelle des arcanes semi zoologiques du cerveau simiohumain l’Occident se tirera du gouffre et par quelles rechutes dans la cécité sacerdotale son encéphale régresserait en deçà du XVIIIe siècle.

 

Jamais encore une civilisation livrée pieds et poings liés à ses autels les plus primitifs ne s’était tirée de l’abîme non point par quelque forgerie d’armuriers de sa tête, mais par une mutation de ses neurones qui seule lui permettra de décrypter l’identité cultuelle d’une espèce qui, depuis le paléolithique, enfante ses effigies transcendantales sur l’enclume de ses immolations. Qu’en est-il de la voracité des sacrificateurs d’outre-Atlantique, qu’en est-il de la chair et du sang que nous déposons sur les autels de l’Amérique?

 

clip_image003[4]7 – Le sang sacré de la démocratie

 

En vérité, la question des relations semi animales que les dieux d’autrefois et les trois dieux plus cérébralisés d’aujourd’hui entretiennent avec un suffrage universel désormais auto-sanctifié sur toute la planète par l’infaillibilité de type oraculaire dont les majorités font bénéficier leur propre voix, cette question-là, dis-je, s’impose d’emblée aux anthropologues de Dieu et des identités mythiques du genre humain. Mais Platon ne précisait-il pas déjà que les dieux exercent des prérogatives et des compétences hégémoniques, mais que si les Athéniens ne sont pas habilités à monter au ciel et à y régler les affaires de là-haut, de son côté, tout l’Olympe réuni ne dispose en rien du pouvoir de descendre des nues et de régler de ce pas celles des cités.

 

Dans son traité De la nature des dieux, Cicéron reprend à son compte ce vigoureux partage des responsabilités: dans Euthyphron, le philosophe condamne expressément nos marchandages de guichetiers de l’Olympe. Sitôt relégués dans leur grandeur séparée, les Immortels n’ont que faire de nos profits de petits trafiquants, mais leur rang doit demeurer préservé et il faut leur sauver la face en leur déclarant qu’ils sont trop majestueux dans leur solitude et trop intouchables pour qu’ils viennent quêter nos redevances. Comment allons-nous rendre grâces au ciel d’outre-Atlantique et, dans le même temps, lui refuser tout net de se mêler de nos affaires? C’est dire que l’OTAN nous condamne à aiguiser le tranchant de notre politologie et à l’enrichir des armes de combat et des leçons d’une anthropologie du sacré, tellement nos relations dialectiques et guerrières avec Washington doivent se libérer des mentalités inconsciemment religieuses enfantées par le messianisme de la Liberté.

 

Car les idéalités de 1789 sont devenues les hosties du monde moderne. A ce titre, elles se présentent en messagères du "salut" de l’humanité. Mais si notre libérateur d’outre-Atlantique les plante au bout des piques de l’empire américain et si ce sont nos têtes qui servent d’emblèmes à la révolution universelle du Beau, du Juste et du Bien, nous demandons de placer notre science des relations que les hommes entretiennent avec les guichets de leurs Olympe sur les plateaux de notre balance à nous.

 

clip_image003[5]8 – Dieu dans la démocratie

 

Que nous dit le "discours de la méthode" auquel nous avons soumis la raison socratique du monde? Qu’il nous a fallu attendre le débarquement dans le christianisme de la monarchie abolie à Athènes pour que nos aristocrates de droit divin conquissent le rang extraordinaire de coadjuteurs omnipotents de Jupiter. Les Anciens n’ont jamais mis sur pied une théologie doctrinale expressément appelée à sanctifier les dynasies et à les fonder sur la consanguinité des rois avec Jupiter. Les autels des Grecs et des Romains se sont rapidement donné l’agora et le forum pour interlocuteurs de leurs cités. Les patriciens ont bien vite assassiné Numa Pompilius, qui se prétendait de nature divine; et ils se sont hâtés de le faire descendre des nues en bénisseur trépassé et en prophète désormais digne de foi de la grandeur future de Rome.

 

C’est dire que la théocratie des plénipotentiaires américains met en scène une omnipotence et une omniscience des autels du salut démocratique dont elle se veut la prophétesse exclusive à l’échelle du monde entier. Du coup, nous nous demandons, en anthropologues comment ce type d’Olympe exerce son autorité dans le monde moderne. Mais pour cela, il nous faut observer que, depuis Platon, la démocratie est une théologie amollie, parce qu’un Dieu-mollusque est condamné à passer par le creuset d’un suffrage universel invertébré.

 

Comment le Dieu américain fera-t-il connaître ses volontés amorphes, sinon à s’insinuer subrepticement et continûment dans les aléas des majorités flottantes, afin de les éclairer de sa lanterne vacillante?

 

Depuis 1789, le ciel des démocraties semi-religieuses se demande si la conquête monothéiste et messianique du salut sous le sceptre rédempteur de la Liberté populaire prendra appui sur un civisme cléricalisé en sous-main par le culte des majorités auto-sacralisées ou si les nations de haut rang deviendront rebelles à cette sotériologie et si des oligarchies désarrimées de la sacralisation des urnes prendront seuls la direction eschatologique des grands empires.

 

C’est dans la problématique d’une géopolitique demeurée finaliste qu’il faut situer les tractations sanglantes de la théo-démocratie américaine avec les autels d’une "Liberté" jugée salvifique et poser la question des relations semi-animales du sang de l’histoire avec les ciels de l’humanité. Car, aux Etats-Unis, il existe d’ores et déjà une scission radicale entre les suffrages pilotés par des considérations de politique intérieure d’une part, et d’autre part, une classe politique de haut rang et toujours vigilante sur les remparts de l’empire.

 

Cette phalange-là voit clair comme le jour que la faiblesse politique de l’Europe est congénitale à la multiplicité de ses ethnies et que, de toute façon, l’incompatibilité des tempéraments nationaux du Sud avec ceux du Nord voue inexorablement à l’échec toute ambition planétaire du Vieux Monde.

 

C’est cette oligarchie sommitale d’outre-Atlantique qui exige des négociations de libre-échange avec l’Europe, afin de consolider la domination mondiale du dollar et de rendre sans danger, croit-elle, la frappe de milliers de milliards d’une monnaie résolument fictive.

 

On voit, à la lumière des décadences et de leurs désastres, que seule une déperdition soudaine et dramatique des capacités cérébrales des classes dirigeantes moyennes peut expliquer une épidémie de cécité politique contagieuse, à savoir qu’une Europe prise dans les mailles serrées d’un marché économique transatlantique ultra règlementé tombera nécessairement dans l’incapacité physique de jamais se constituer en puissance politique à l’échelle internationale.

 

Comment expliquer que la construction d’une "vaste zone de libre-échange" signe fatalement l’arrêt de mort d’une civilisation de l’action et que, tout subitement, personne ne semble le comprendre? Le Général de Gaulle brandissait encore ce spectre comme l’aboutissement logique de la conquête américaine du monde aux yeux de la classe politique relativement alertée de son temps.

Si quatre décennies après sa mort, personne ne prend acte de cette situation, c’est bel bien parce que ce spectacle a quitté les rétines. Il s’agit de rendre compte de l’évanouissement de ce spectacle sur l’écran autrefois géant de la lucidité la plus répandue.

 

Or, le phénomène du naufrage du regard de la raison la plus normale n’est pas inédit dans l’histoire du cerveau de l’humanité. A partir du IIIe siècle, l’Eglise est parvenue à faire croire à l’entendement commun à toute la chrétienté qu’il fallait prendre au pied de la lettre la parole de Jésus, qui avait montré un morceau de pain en disant: "Ceci est mon corps"? Un grand juriste bâlois , Amerbach adressait à Erasme une lettre terrorisée: le conseil municipal de la ville lui demandait maintenant de comprendre la métaphore. Dans les époques de crise, le cerveau collectif tombe dans l’ esprit magique des religions.

 

L’Europe a commencé de manger le pain de l’asservissement de sa raison politique sur le même modèle d’amputée cérébrale que l’Eglise – les négociations transatlantiques sont l’hostie de la vassalisation eucharistique de type démocratique.

 

clip_image003[6]9 – La Théo-politique américaine

 

C’est pourquoi aucun homme politique européen n’avouera crûment à la population que nous sommes à la croisée des chemins : ou bien l’Europe s’alliera avec la Russie, la Chine, l’Inde et l’Amérique du Sud afin de tenter de retrouver un destin à l’échelle de la planète, ou bien la vassalisation d’une Europe parcellisée ira jusqu’à son terme. Tel est le contexte dans lequel se pose la question du statut théologique de la démocratie mondiale. Un Dieu des idéalités est-il capable de se colleter avec l’histoire réelle du monde? Au XVIIe siècle, le Jupiter des chrétiens tenait encore les rois de l’Europe bien en mains.

 

Dans les démocraties livrées à des majorités de plus en plus capricieuses, le ciel du mythe de la Liberté en est réduit à s’infiltrer en catimini dans des décomptes de voix anonymes, tellement le suffrage universel met des bâtons dans les roues des évangélistes de la démocratie, tandis que le cocher suprême de l’histoire universelle ne sait plus de quel cheval il tient les rênes.

 

Vous voyez à quel point une anthropologie critique ambitieuse de porter le regard sommital de la raison méta-zoologique des modernes sur la semi animalité de notre espèce se révèle nécessaire au décryptage des vassalités politico-religieuses de notre temps: si l’Amérique est évidemment une théo-démocratie du seul fait que toute religion place nécessairement la divinité qu’elle adore au cœur de l’histoire du monde, comment voulez-vous que des sciences humaines inaptes à décoder les documents simiohumains centraux qu’on appelle des théologies accèderaient à une connaissance rationnelle des identités mythiques entre lesquelles les évadés de la zoologie partagent leur encéphale?

 

Or, il se trouve que toutes les cosmologies fantastiques placent le sacrifice au cœur de leur vision onirique du monde; et tous les sacrifices désignent nécessairement une victime et son immolateur, un bénéficiaire et un payeur, un vainqueur et un vaincu. Si l’on ne situe pas l’OTAN et ses piétés dans une problématique du fabuleux sacrificiel, si l’on ignore que le moteur cérébral de l’Europe est immolatoire depuis 1945, on passe au large de la seconde Renaissance. Derrière la vassalisation messianisée d’une Europe guidée par les idéalités para-religieuses de la démocratie, l’interdiction d’accéder au ciel européen intimée à un chef d’Etat de l’Amérique du Sud par les théologiens américains du Bien et du Mal, cette interdiction vaticanesque prend toute sa signification anthropologique. De quel ciel de l’Europe sommes-nous les otages et qui en tient-il les rênes d’une main de fer?

 

clip_image003[7]10 – Les Pizarre de la raison

 

Dans le même temps, l’éventualité d’un sauvetage in extremis de l’ Europe de la pensée rationnelle donne tout son sens à la vaillance civilisatrice des Pizarre de la raison politique. Ceux-là savent que l’espèce simiohumaine est en cours de décérébralisation et qu’elle n’est pas près d’aller de l’avant avec vaillance – jamais elle ne se donnera spontanément le courage de défier en solitaire le vide et le silence de l’éternité. Aussi les chefs de l’expédition de ce vivant dans le néant ont-ils brûlé leurs vaisseaux de siècle en siècle afin d’interdire le chemin du retour au troupeau épouvanté.

 

Si la civilisation européenne faisait déguerpir l’occupant américain, elle se sentirait d’abord privée des routes odorantes qui permettent aux armées déconfites de paraître battre en retraite le plus dignement du monde; et le Vieux Monde tremblerait de tous ses membres, tellement il se croirait précipité dans le vide. Si vous spoliez un animal des délires de son accoutumance à sa domestication parfumée, il se croira précipité dans les ténèbres. La faiblesse d’esprit des civilisations agonisantes va de pair avec les couardises bien payées des élites du "salut démocratique". Il faut des électrochocs à haute tension pour seulement alerter l’encéphale des endormis dans leur Eden. Voyez leur ahurissement et leurs yeux écarquillés d’apprendre que depuis 1945, l’Europe n’a jamais eu d’ennemis à combattre et que seul le joug du messianisme théo-démocratique des Etats-Unis l’a enchaîné à un maître et à un confesseur dispendieux.

 

Les guerres de la pensée rationnelle rallument d’un millénaire à l’autre les feux d’une intelligence critique toujours près de s’endormir dans les effluves des autels, tellement les périls que court une démocratie théologisée en sous-main par l’encens de ses idéalités sont calqués sur l’épouvante biblique et sur les terreurs infernales. C’est dire également qu’à l’heure où les Pizarre de l’Europe auront calciné leurs vaisseaux afin que leurs carcasses ne traînent pas, béantes, mais intactes sur les rivages, la guerre de la raison ne fera que commencer dans un cosmos désert. Mais les conquistadors du silence et du vide diront à l’Europe des courages ressuscités: "Cesse de négocier le prix de tes cadavres sur l’autel de tes sacrifices, tu as perdu le sceau de ton sang. A toi de rendre ascensionnels les orphelins de leurs dieux, à toi d’enfanter de nouveaux vainqueurs de la mort, à toi de rallumer le flambeau éteint des blasphèmes qui s’éclaireront de tes feux."

Le 13 juillet 2013

 

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Manuel De Diéguez

 

http://aline.dedieguez.pagesperso-orange.fr

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