Témoignage
Témoignage
Homs, une ville
plongée dans l’horreur organisée par des groupes armés et NON par Damas
Le Syrien qui
témoigne ici vit à Homs, dans le quartier où a été tué Gilles Jacquier en même
temps que huit sympathisants syriens du gouvernement Assad. Les obus tombaient
tout autour de son immeuble au moment où nous parlions. Tétanisé par la peur et
l’angoisse de la mort qui rôdait, il parlait à voix basse, difficilement.
Nous croyons ce que
ce cadre, père de deux enfants, nous a dit avec sobriété. Nous croyons en sa
sincérité. Ce qu’il affirme contredit ce qu’affirment les autorités politiques
-impliquées dans le conflit- et nos médias, qui persistent à nier la réalité ;
à attribuer les destructions et les assassinats aux forces armées syriennes et
à affirmer à tort qu’elles torturent des enfants, violent des jeunes filles,
tuent intentionnellement des civils.
En opposant leur
véto à la résolution proposée par l’Occident et ses alliés arabes des pays du
Golfe, la Chine et la Russie viennent de montrer qu’elles ne sont pas dupes de
cette colossale désinformation. Mais, depuis que le Conseil de sécurité de
l’ONU s’est réuni, ces bandes armées ont redoublé de sauvagerie se sentant de
toute évidence fortes du soutien que leur apporte la prétendue
« communauté internationale ».
Silvia Cattori : Dans un article du 4 février, le journaliste de l’AFP, Khaled
Soubeih [1],
affirme que, selon des militants, « dans la nuit, les forces du
régime ont bombardé au mortier et au char plusieurs quartiers rebelles comme
Baba Amro, Bab Dreib, Bab Sebaa, Bayada, Wadi Araba, et surtout
Khaldiyé. » Le Conseil national syrien
(CNS) fait, lui, état d’au moins 260 morts et de centaines de blessés. Est-ce
bien votre point de vue sur ce qui s’est passé dans la nuit du vendredi 3 au
samedi 4 février 2012 ?
Réponse : Ils tirent de tous côtés…ils
veulent juste tuer…Leurs tirs ont tué 20 militaires qui se trouvaient dans
notre quartier (Hadara)… Ce sont eux qui tirent et nous bombardent. Vous
entendez ? Ils lancent des bombes sur notre quartier en ce moment [11h40
du dimanche 5 février] Ils tirent et tuent pour tuer aussi bien des alaouites
que des sunnites dont ils contrôlent les quartiers.
Silvia Cattori : Quand vous dites « ils », « eux » qui désignez-vous ?
Réponse : Je parle des opposants armés
contre Bachar.
Silvia Cattori : On a vu des images montrant des opposants devant des dizaines de corps
recouverts de linceuls blancs que l’on a dit avoir été tués dans le quartier de
Khaldiyé. Alors, selon vous, ce sont les corps de civils et de militaires tués
par des groupes armés ?
Réponse : Oui. Ce sont eux qui les ont
tués. Parmi ces corps, des gens de notre quartier ont reconnu des personnes qui
avaient été kidnappées [2], certaines
depuis longtemps. Ils ont enlevé beaucoup de gens. Les enlèvements ont commencé
en avril.
Silvia Cattori : A-t-on reconnu parmi ces corps une personne enlevée que vous
connaissiez ? Le ministre des Affaires étrangères françaises, Alain Juppé,
a parlé de 100 enfants tués à Homs l’autre jour…
Réponse : Des parents de mon quartier ont
reconnu, parmi ces cadavres, une vingtaine d’hommes qui avaient été kidnappés.
Ils portaient des traces de torture. Ils n’ont pu voir tous les corps. Ils
n’ont vu ni femmes ni enfants, parmi les cadavres. Ils ont vu les corps
d’hommes, de disparus, de parents, présentant pour certains des traces de
torture apparemment antérieures à la mort ; ils ont assuré que ces hommes
avaient été enlevés auparavant, qu’ils paraissaient avoir été exécutés et non
pas tués par des obus.
Silvia Cattori : Savez-vous combien de personnes ont été enlevées par ces groupes armés
depuis avril ?
Réponse : On ne sait pas exactement…mais
beaucoup d’hommes ont disparu. L’un d’eux est mon cousin. Ils l’ont kidnappé il
y a 15 jours. On n’a plus eu aucune nouvelle. Il y a des familles ici qui ont
eu des fils, des pères ou des oncles kidnappés. On estime à quelques 400 le
nombre de personnes enlevées, disparues.
Je connais un autre
cas récent. Celui du frère d’une amie. Il est parti en voiture le 24 janvier et
on ne l’a plus revu. Sa famille a eu des nouvelles de lui par téléphone il y a
4 jours disant que ses ravisseurs demandent une rançon. La famille est en train
de trouver une somme importante … Il arrive que, une fois trouvé, l’argent se
perde en route, car le médiateur se fait tuer…
Silvia Cattori : Mais, ici, on dit que l’armée viole, torture les enfants...On dira en
vous lisant que c’est peut-être l’armée qui kidnappe les gens ?
Réponse : Tout cela ne reflète pas ce que
nous voyons depuis notre côté. Ce sont les opposants armés qui assiègent, qui
kidnappent, qui tuent et torturent les enfants dont l’on voit ensuite la photo
sur Aljazeera. Ils attribuent leurs crimes à l’armée syrienne. Les
destructions, les morts, les blessés que nous avons, ce sont les opposants
armés qui en sont responsables.
Silvia Cattori : Toujours est-il que ce chiffre de 260 civils [3]
« dont une centaine d’enfants et de femmes », qui auraient péri sous les obus de l’armée d’Assad dans le faubourg de
Khaldiyé, à Homs, la nuit du vendredi 3 février, ont mis le monde en
émoi ; ce qui n’arrange pas les choses. Or, parmi les corps exposés à
Khaldiyé on ne voit ni femmes ni enfants. On voit des jeunes hommes dont les
corps portent des traces de tortures. Ils ne paraissent pas avoir été tués sous
les décombres, suite à des bombardements. Tout cela confirme ce que vous nous
avez dit. Que les tueries sont davantage le fait de groupes armés. Il est
important de mettre cela au clair ; car si ce que vous dites est vrai -
que les corps exposés sont ceux de gens que les opposants armés ont
préalablement enlevés et exécutés - cela incrimine ceux qui, comme Obama et
Sarkozy, soutiennent ces opposants, couvrent leurs atrocités car ils veulent
obtenir le renversement d’Assad coûte que coûte. Y a-t-il des photos des
immeubles qu’ils auraient bombardés ?
Réponse : Oui. Ils ont bombardé Hadara,
notre quartier (là où ils ont tué Gilles Jacquier - Nda) vendredi nuit. Les
tirs partaient depuis Baba Amro, Bab Dreib, Bab Sebaa, Bayada, Khaldiyé …dans
tous les sens. Ce n’étaient pas des tirs qui partaient de l’endroit où se
trouvaient des forces armées gouvernementales qui sont ici dans notre quartier
pour nous protéger. C’est un petit quartier le nôtre.
Silvia Cattori : Alors, ce qu’ont rapporté des Syriens par téléphone au journaliste de
l’AFP n’est pas vrai ?
Réponse : Non, ce n’est pas vrai. Ils sont
lourdement armés. Ils ont pris le contrôle de Baba Amro, Bab Dreib, Bab Sebaa,
Bayada, Khaldiyé... Ils détruisent, tuent, blessent les gens. Ils bombardent en
ce moment…Ce sont eux (les groupes islamistes armés) qui font exploser des
bâtiments, qui menacent les gens pas seulement dans notre quartier, partout. Il
y a des tirs en ce moment dans plusieurs endroits. Les habitants appellent
l’armée à l’aide.
Silvia Cattori : Avez-vous peur en ce moment ?
Réponse : Oui, on est effrayés. C’est très
dangereux pour nous.
Silvia Cattori :On peine à comprendre comment ces groupes peuvent
« contrôler » la population de quartiers entiers de la ville de
Homs ?
Réponse : Ils sont entrés dans les
quartiers ; ils s’y sont installés par la terreur ; ils maintiennent
les habitants sous la menace ; ils les obligent à collaborer pour les
protéger ; ils les obligent à fermer leurs échoppes, les écoles.
Silvia Cattori : Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous qui êtes exposés à leurs
tirs ?
Réponse : On ne peut pas sortir, on ne
peut pas voir d’autres gens, on vit dans la crainte permanente qu’une bombe
nous touche, nous tue. Nous ne vivons pas en sécurité…Je ne peux pas aller à
mon travail ; il y a sans cesse des bombardements dehors ; ils nous
tuent dès que l’on sort ; la maison de mon voisin a été détruite…
Silvia Cattori : Depuis quand la situation est-elle devenue à ce point intenable ?
Réponse : Depuis deux jours cela est allé
de pire en pire. Mais les choses se sont aggravées depuis sept jours.
Silvia Cattori : Avez-vous l’impression que l’administration d’el-Assad ne fait pas ce
qu’il faut pour vous protéger ?
Réponse : Ils font de leur mieux dans un
contexte très difficile.
Silvia Cattori : Les journalistes des médias traditionnels parlent de manifestants
pacifiques, d’une révolution qui promet la démocratie…
Réponse : Non, il n’y a pas de
manifestations pacifiques de leur côté. Toutes leurs manifestations sont
violentes, sont des incitations à la violence.
Silvia Cattori : Ce que vous dites atteste que ce que les politiques et les médias
qualifient chez nous de « militants
pro-démocratie » sont en réalité
des groupes armés qui terrorisent la population. C’est tout de même une
douloureuse équation. Que ressentez-vous quand vous entendez MM. Alain
Juppé et Gérard Araud, l’ambassadeur de France à l’ONU, donner raison à ces
opposants armés qui vous tuent, vous kidnappent et tuent les soldats qui, avec
la meilleure volonté, n’arrivent pas à vous protéger ?
Réponse : Ce que je ressens ? De la
tristesse. Je suis très triste pour mon pays, mon peuple…je ne cesse de me
demander pourquoi ils mentent…Nous sommes ici face à l’inconnu…Je remercie la
Russie et la Chine pour avoir opposé leur veto au Conseil de sécurité. Car si
eux aussi laissent faire ce que veulent d’autres pays, ce qui est arrivé en
Libye arrivera ici en pire…
J’aimerais dire aux
journalistes et aux responsables politiques que par leurs mensonges, par leur
biais en faveur des opposants armés qui nous terrorisent, ils détruisent
l’esprit, et surtout l’âme de notre jeunesse.
Silvia Cattori : Nous vous remercions d’avoir accepté de nous répondre. Nous allons
faire de notre mieux pour faire connaître votre témoignage.
*****
Atterrées par ce que
nous venions d’entendre, nous avons posé le téléphone tout en sachant que nos
politiciens et nos médias ne voudront pas l’entendre [4]. (5 février
2012 )
Post scriptum
Ce matin, 6 février,
alors que nous nous apprêtions à publier ce témoignage, en entendant dire sur France Culture que l’armée syrienne pilonnait
sans discontinuer depuis samedi les opposants, et l’invité du matin, Salam
Kawabiki, opposant syrien résidant à Paris, se plaindre que « malheureusement les médias du régime (sont) relayés
par des sites d’extrême droite français... » [5], nous avons
dressé l’oreille. Salam Kawabiki parlait de plus de 400 morts du côté des
opposants dans la nuit de vendredi. Opposants qu’il présente comme étant
totalement pacifiques, manifestant en chantant, comme les membres d’une
révolution qui a « développé un humour
syrien ».
Nous ne l’avons pas
cru. Tout ce qu’il disait transpirait la propagande, ne cadrait aucunement avec
ce que, depuis des mois, nos contacts à Homs, terrorisés par les opposants
armés, disent et répètent. Nous les avons rappelés pour leur demander qui les pilonnait
aujourd’hui. Il nous ont dit : « Aujourd’hui
les groupes armés ont attaqué le centre de communication ; ils ont fait
exploser des immeubles dans le quartier d’al-Nazihin et le quartier
al-Inchaat ; ils ont menacé de faire sauter d’autres immeubles dans
d’autres quartiers ; sur les toitures des pneus brûlent [6] ;
les habitants appellent l’aide de l’armée ».
Silvia Cattori
Pour des raisons de
protection nous n’indiquons pas le nom de nos correspondants.
Cet entretien
n’aurait pas pu être réalisé sans le précieux soutien de Rim, une jeune
Syrienne.

Commentaires
Enregistrer un commentaire